Quelques années après le très remarqué Ara Fell, le studio americain Stegosoft livre un nouvel hommage au JRPG des années 1990. Rise of the Third Power est cependant fourni avec la promesse de mécaniques modernisées et d’un système de jeu largement plus agréable qu’à l’époque. Son époque, devrais-je presque dire, le projet piloté par la développeuse BadLuck ayant près de quinze ans.
C’est le risque avec les jeux à esthétique ou mécaniques rétro : se retrouver englué dans une nostalgie un peu épaisse, conduisant à imiter le gameplay de jeux qui, s’ils sortaient aujourd’hui, seraient conspués pour leur côté balourd et gauche. Même chose pour le rythme. Si, en 1994, il était normal de se retrouver cinq ou six heures dans le même donjon à tuer les mêmes ennemis avant de voir l’intrigue avancer d’un chouilla, cette approche est devenue plus rare et assez peu synonyme de fun. La promesse d’un jeu de quarante heures est, en 2022, parfois perçue comme une menace davantage que comme un atout. Alors, comment parvenir à animer encore la flamme des RPG rétro sans tomber dans le passéisme absurde ? C’est le difficile pari que tente de relever Rise of The Third power, qui le réussit quasiment grâce à un scénario bien ficelé et un gameplay robuste. Au prix de quelques scories irritantes, hélas.
Entre Pirates des Caraïbes et Accords de Munich
Rise of the Third Power a une immense qualité qu’il sera difficile de lui enlever : les auteurices de Stegosoft ont rendu une copie sacrément solide. La promesse était pourtant inquiétante : retranscrire la montée du péril fasciste en utilisant un décorum de fantasy situé dans l’ère de la piraterie. Autant dire que c’était bien parti pour être absolument n’importe quoi, mais ô surprise, nous tenons là le premier grand scénario de RPG de l’année.
L’intrigue se déroule une quinzaine d’années après un conflit inspiré de la Première Guerre mondiale, dans lequel l’empire d’Arkadya (un mélange esthétique entre l’Allemagne et la Russie) a été finalement écrasé par une coalition de pays étrangers, dont le royaume de Cirinthia (évoquant un peu l’Italie) qui, bien que membre de la coalition gagnante, n’a pas été récompensé par des gains territoriaux. Un dictateur en herbe renverse le souverain d’Arkadya, réarme son pays, et mène une politique expansionniste agressive au nom d’un esprit de revanche et d’un idéal nationaliste propre à galvaniser sa population. Frustré de ne pas avoir obtenu ce qu’il voulait, le souverain de Cirinthia décide de tourner le dos à ses alliés et promet en mariage sa fille, la princesse Arielle, au fils du dictateur, provoquant ainsi le risque d’un retournement des alliances. C’est le début d’une spirale diplomatique et militaire propre à plonger tout le monde, y compris les pays indépendants entourant les différents protagonistes, dans un nouveau conflit mondial.
L’intrigue, particulièrement dense, nous met initialement dans la peau de deux mercenaires et anciens pirates mandatés pour kidnapper la princesse et tenter d’exposer ainsi les plans belliqueux d’Arkadya. Un « simple » événement qui va les mener au cœur d’un ensemble de péripéties, d’assassinats et de voyages périlleux, dans ce qui s’avère assez vite être une sorte de récit d’aventure mâtiné de complots politiques, au ton parfois léger mais souvent sinistre. La dynamique entre les huit personnages que l’on sera amené à contrôler est assez fine, plus adulte que dans la plupart des jeux du genre : on boit, on parle de sexualité de manière parfois crue, on aborde la question des enfants soldats de manière frontale, on y égorge des familles à tour de bras et on y fait face à des pelotons d’exécution… On voit évoluer la dynamique de groupe à mesure que l’aventure se déroule d’une manière naturelle et vraisemblable, davantage que dans bien des jeux du genre.
Tout juste regrettera-t-on que cette intrigue fine et mature se retrouve parfois un peu mise à mal par quelques ficelles extrêmement épaisses et des retournements un peu faciles. J’ai levé les yeux au ciel une ou deux fois face à des changements d’avis commodes d’une poignée de personnages ou encore la capacité d’alliés récurrents à vous croiser comme par hasard à plusieurs reprises dans des lieux improbables sur un continent grand de milliers de kilomètres. Certains rebondissements sont ainsi très réussis, d’autres sont carrément téléphonés, mais dans l’ensemble, Rise of The Third Power s’en sort assez bien et maintient le rythme de ses péripéties à un niveau plutôt intense, du moins si on décide de se laisser guider comme le jeu nous permet très opportunément de le faire.
Un RPG qui décide de supprimer les à-côtés… pour ceux qui souhaitent s’en passer
Rise of the Third Power est un RPG que nous pouvons ranger dans la catégorie des bavards : beaucoup de personnages, beaucoup de cinématiques, un lore assez dense exposé sous toutes ses coutures, et une quantité de PNJ assez vertigineuse dans chaque village traversé. Mais comme je le disais plus haut, Stegosoft a abordé tout cela avec un souci de modernisation assez poussé. Vous pouvez bavarder avec des dizaines de passants vous racontant des choses plus ou moins intéressantes mais contrairement à la plupart des jeux dont le titre s’inspire (de Suikoden à Grandia en passant par Final Fantasy VI), vous n’avez aucune obligation de le faire. Une idée toute simple : les personnages ayant quelque chose d’intéressant à dire vous sont aimablement signalés par une icône.
Même chose en ce qui concerne les quêtes annexes, pas besoin de les chercher, elles sont directement indiquées par un signe de ponctuation (exclamation pour les déclencher, interrogation pour les faire progresser). L’écriture prend assez bien en compte le fait que vous puissiez vouloir vous concentrer sur le contenu essentiel et ne pas vous promener pour parler à tout le monde ou fouiller toutes les maisons, une attention bienvenue pour celui ou celle qui souhaiterait profiter du jeu sans voir son rythme s’affaisser à coups de dialogues redondants. La plupart des notions essentielles à l’intrigue, au lore et aux personnages sont de toutes façons largement distillées tout au long de l’aventure pour que tout reste parfaitement clair, même en ligne droite.
Ce système pourrait passer pour une simplification outrancière, mais il n’en est rien. Pour peu qu’on passe un peu de temps à faire le contenu des quêtes annexes (pas pléthoriques mais assez bien écrites), on se rend compte que l’approche traditionnelle du « je dois fouiller pour savoir où je dois aller » a été remplacé par quelque chose de plus subtil et de moins mécanique. Vous allez devoir faire quelques déductions, retrouver des objets éparpillés aux quatre coins du monde ou encore essayer de comprendre la psychologie d’un vétéran de guerre pour le contraindre à retrouver ses anciens compagnons. On sait toujours où on doit aller, mais il faut parfois réfléchir pour savoir quoi faire, ce qui donne aux quêtes annexes un ton assez naturel et plaisant.
Une vision radicale de la simplification
L’autre choc de simplification tenté par Rise of the Third Power concerne la partie qui constitue habituellement le fléau de tout JRPG qui se respecte : le micro-management irritant dans les menus et sous-menus, ainsi que la gestion fastidieuse de son équipe. L’idée centrale proposée ici est de tenter un compromis entre quelque chose d’intuitif et tout de même suffisamment profond pour avoir de l’intérêt. Et là encore, c’est une réussite.
Le principe directeur de Stegosoft semble avoir été le pari d’automatiser une grosse partie de ce qui nécessite habituellement l’intervention de l’utilisateurice : à titre d’exemple, les personnages ne changent pas de niveau individuellement mais en tant que groupe (une idée déjà tentée dans Valkyria Chronicles). De même, les objets équipés gagnent des points de compétence automatiquement, ce qui supprime la nécessité de jongler avec les armes et les accessoires à chaque forgeron rencontré. Il y a un système de craft, mais qui déclenche des améliorations permanentes et n’a donc pas besoin d’être répété à l’infini une fois les bons ingrédients dénichés.
La gestion des objets est elle aussi simplifiée : il y a des potions médicinales et de magie, mais les personnages ont également des possibilités de passer outre via des sorts de soin et des techniques remplissant leur jauge de mana, ce qui limite le recours systématique à l’usage des objets après chaque combat (et donc la nécessité de grinder pour pouvoir dévaliser les étals des marchands). Etc, etc. Tout est pensé dans l’idée de vous laisser à la fois beaucoup de marge de manœuvre et à la fois la tranquillité d’esprit de ne pas multiplier les clics et les arrêts aux stands pour des actions sans intérêt.
Et ça marche. Rise of the Third Power est un RPG dans lequel on peut aller de l’avant et voir son équipe progresser sans jamais avoir besoin de changer son roster à tout bout de champ ou de grinder pour avoir les ducats nécessaires à la mise à niveau de son équipement, et qui se permet même quelques petites idées bonus qui améliorent encore le confort de jeu. Comme par exemple la mention explicite de points de non-retour avant une fin de chapitre, afin de pouvoir boucler quelques quêtes supplémentaires, des propositions de sauvegarde avant un combat périlleux pour éviter tout risque de game over, et j’en passe. Bref, on est guidés sans être infantilisés, dans un titre qui sait garder un challenge constant. Ça n’occulte toutefois pas le petit souci qui prive le titre de Stegosoft de l’excellence : ses donjons assez inintéressants et mal pensés.
Une modernisation qui ne va pas au bout de son idée
On aurait pu penser qu’avec autant d’idées et de recul critique sur le genre, tous les poncifs auraient été dépoussiérés, à l’image du système de combat, particulièrement amusant, dynamique et créatif. Le problème, c’est que ce système de combat, vous avez tout intérêt à beaucoup l’aimer parce que vous allez vous le farcir encore, et encore, et encore à longueur de donjons interminables comportant des centaines de mobs répartis dans des dizaines de salles toutes identiques ou presque.
Les donjons de Rise of the Third Power sont, hélas, assez catastrophiques. Très longs, très fastidieux et tous plus ou moins bâtis sur exactement le même modèle : trouver la clé de bronze, puis la clé d’argent, puis la clé d’or, puis le boss, et liquider des dizaines de fois le même grouillot en chemin, sans aucune possibilité d’accélérer ou d’automatiser les combats. Pire, les différents niveaux traversés souffrent parfois de problèmes de lisibilité et on ne sait pas toujours bien identifier ce qui est une porte, une fenêtre, une échelle ou le bord de la carte, ce qui fait partie de la faune décorative (oiseaux, écureuils…) ou ce qui peut déclencher un combat.
Tout ceci peut conduire à tourner en rond à la recherche d’un passage mal indiqué, à se cogner dans les arbres en quête d’un sentier qui s’avère être une impasse non empruntable, ou à se faire embusquer par des machins à demi cachés dans des couloirs. Bref, dès qu’on sort des phases purement scénaristiques, on plonge trop souvent dans des tunnels d’errance un peu ennuyeux, heureusement ponctués par des combats de boss particulièrement bien fichus, au challenge relevé et aux mécaniques surprenantes.
On appréciera cependant la possibilité de choisir le niveau de difficulté de l’ensemble et d’expliciter les conséquences de chacune des possibilités (quantité de grind demandée pour progresser, par exemple), ou encore le fait que les ennemis ne respawnent que si on le souhaite, ce qui permet d’accélérer un peu la recherche des secrets cachés dans les donjons. Une fois qu’on a nettoyé la zone, au moins, on est tranquille. Mais franchement, toutes ces phases d’exploration auraient vraiment mérité d’être densifiées et raccourcies : la variété des environnements (au demeurant jolis) et du bestiaire n’est pas suffisante pour faire oublier que dans ces trente ou quarante heures de jeu, on en passe une bonne quinzaine à tuer le même groupe de scarabées géants et de policiers menaçants avec une monotonie qui frise le soporifique.
Rise of the Third Power a été testé sur PC via une clé envoyée par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4, Nintendo Switch, Xbox One et Mac.
Rise of the Third Power est une excellente surprise de ce début d’année et démontre avec brio que des mécaniques modernisées et un scénario ambitieux sont parfois tout ce dont un RPG rétro a besoin pour vous scotcher à votre PC des dizaines d’heures. Avec son intrigue tortueuse, ses personnages attachants et des mécaniques de gestion d’équipe quasi exemplaires, on aurait pu tenir là une vraie nouvelle référence du genre. On regrettera donc que tout ceci soit terni par des donjons particulièrement mous et répétitifs, qui finissent par se faire oublier à mesure qu’on se captive pour le destin des personnages. On pardonne au jeu ce petit résidu passéiste, mais c’est regrettable : on passe vraiment tout près du chef-d’œuvre.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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