Chez TPP, tout le monde a ses petits chouchous dans des genres bien définis : Murray nous parlait récemment des puzzle games d'Afterburn, Fanny ne rate pas une occasion d'encenser les jeux d'action de Supergiant Games, Tritri a probablement un tatouage Paradox quelque part, et moi, je me suis découvert en 2020 une passion pour la FMV selon D'Avekki Studios. Après avoir parcouru Dark Nights with Poe & Munro en long, en large et en travers, puis rattrapé mon retard sur The Shapeshifting Detective et The Infectious Madness of Doctor Dekker, j'ai développé une réelle affection pour cet univers aux jeux interconnectés, ce cast qui revient titre après titre comme une bande de bons copains, ces ambiances à la frontière du fantastique, de l'épouvante et du polar, et, avouons-le, ces productions un peu fauchées aux bonnes odeurs de nanar sympathique et de performances excentriques.
Alors, évidemment, je me suis jeté sur ce Murderous Muses, nouvelle proposition du studio, peut-être la plus originale et ambitieuse jusqu'ici conçue par D'Avekki, pour le meilleur et pour le pire. Si, comme pour les précédents titres, l'équipe s'est concentrée sur ce qu'elle sait faire de mieux - des enquêtes et de la FMV - celle-ci s'est lancée dans un concept bien plus velu, qui se montre à la fois à la hauteur de ses ambitions narratives, mais affiche également très vite les limites du studio en termes de mécaniques et de polish dès qu'il sort de sa zone de confort. En résulte un jeu aussi bancal et répétitif que fascinant et attachant, et dont la principale difficulté sera finalement d'en expliquer le principe.
Paint it Back
Bonne nouvelle : même si je le voulais, je ne pourrais pas vous spoiler la fin de Murderous Muses. Du moins, je ne pourrais pas vous révéler l'identité du tueur ou de la tueuse du mystérieux Mordechai Grey, peintre assassiné par l'un·e de ses modèles, et dont le musée dont nous sommes le gardien accueille l'exposition posthume un an après sa mort. Car la petite marque de fabrique de D'Avekki Studios, en plus de la FMV et de ses atmosphères bien particulières, est la conception de jeux d'enquête rejouables, dont le coupable change à chaque nouvelle partie. Une mécanique assez efficace, probablement héritée du passé d'organisation de Murder Parties du studio, et que le couple Tim et Lynda Cowles a peaufiné au fil de ses productions : même Dark Nights with Poe & Munro, pourtant bien plus linéaire et scripté que les précédents jeux, comportait quelques petits passages générés aléatoirement, histoire de brouiller les pistes et augmenter la rejouabilité.
La technique ici est finalement assez simple - et assez brillante, il faut le dire - : sur la quantité astronomique de vidéos produites (pas loin de 600), seule une poignée d'entre elles aura une véritable utilité dans la résolution de l'affaire. Chacune des trois parties de l'enquête génère un alibi à vérifier pour chacun·e des six suspect·es, et, arrivé à la fin du troisième acte, seul·e l'un·e des six cochera les trois cases prouvant sa culpabilité - je préconise fortement l'usage d'un bloc-notes pour tenir à jour l'avancée des recherches, du moins si votre mémoire et capacité d'attention sont aussi défaillantes que les miennes. Ces alibis ne pourront être découverts qu'après avoir visionné au minimum trois bribes de souvenirs, extraits de conversations entre les modèles et le peintre Mordechai ; souvenirs complètement annexes quant à l'élucidation du crime, et pourtant au centre même de l'expérience.
Car au-delà du mystère principal et du but final de notre aventure, ce qui passionne dans Murderous Muses, qui fait tenir le jeu sur la longueur et motive à relancer de nouvelles parties, ce sont les histoires des six modèles qui se dévoilent au fil des recherches. S'il est possible de trouver le coupable dès la première partie, il est cependant impossible de voir tous les extraits de conversations en une seule fois : les centaines de vidéos tournées apparaissent également de façon aléatoire à chaque nouvelle run, et les différentes facettes et motivations des personnages se développent au long cours. C'est la raison pour laquelle j'ai autant été happé par le titre de D'Avekki : dans ses meilleurs moments, Murderous Muses fonctionne comme ces applications proposant du contenu vidéo très court - que ce soit les stories d'Insta, les vidéos TikTok ou les shorts de YouTube - en nous abreuvant d'un flot quasi continu de segments allant de quelques dizaines de secondes à une ou deux minutes.
Le résultat est terriblement efficace, grâce à un cast investi - on retrouve avec plaisir quelques habitué·es des productions précédentes, les géniaux Klemens Koehring, Aislinn De'Ath et Rachel Cowles en tête - qui n'hésite pas à surjouer, mais sait faire preuve d'un peu de subtilité quand c'est nécessaire ; une atmosphère lourde et lancinante, toujours à la frontière de l'épouvante et du fantastique ; des personnages travaillés et pas si archétypaux que ça ; quelques belles fulgurances dans le ton et la mise en scène et de chouettes twists dans les backstories et sujets abordés. La photo et les costumes continuent de donner aux productions D'Avekki ce délicieux aspect de série B un peu étrange et fauché, mais l'écriture, la mise en scène et les histoires racontées ont clairement monté d'un cran en termes de qualité et d'ambitions.
Une exécution un peu gouache
Peut-être un tout petit peu trop d'ambitions, d'ailleurs, car le jeu ne se contente pas de nous abreuver des témoignages de personnes plus ou moins problématiques et plus ou moins traumatisées, et propose tout autour un certain nombre d'activités annexes et de mécaniques certes essentielles à la bonne tenue du titre, mais malheureusement assez peu maitrisées et vite redondantes. À commencer par la mécanique principale. Car le visionnage des cinématiques ne se fait pas aussi facilement : pour assister aux souvenirs des différents suspects, il faut d'abord se munir des tableaux qui les représentent, et les accrocher au-dessus de mots-clés bien précis, dispersés sous forme de plaques sur les murs d'une galerie de musée, elle aussi générée de manière procédurale à chaque run. Un choix un peu étrange, d'autant que certaines architectures s'en retrouvent labyrinthiques pour pas grand-chose et donnent lieu à un certain nombre d'errances et allers-retours assez pénibles.
Mais surtout, car chaque tableau contient un nombre limité de joyaux, les "Yeux de Mordechai", que chaque visionnage de souvenir en consomme un, et qu'une fois cette séquence visionnée, le mot-clé associé disparaît pour être remplacé par un autre. Ajoutez à cela qu'il est possible de retirer des joyaux d'un tableau pour les placer sur un autre, et qu'une liste de mots-clés bien précise est nécessaire pour débloquer la séquence d'interrogatoire qui valide ou non l'alibi, et le fameux enchaînement de cinématiques si fascinant peut se voir entrecoupé d'allers-retours fastidieux dans ce musée modélisé à la serpe sous Unity. Je comprends évidemment ce besoin de limiter le nombre de visionnages et d'apporter un peu de stratégie à l'ensemble en imposant de faire des choix entre les témoignages de tel ou tel suspect - voire de nous priver de certains tableaux pour les deuxième et troisième actes, ce qui est une excellente idée - mais l'exécution est terriblement laborieuse. La mécanique manque de clarté - le tutoriel est un modèle d'inutilité et d'imprécision - et plombe parfois significativement le rythme, quand tout ce qu'on veut, c'est enchaîner les témoignages et les indices.
Plus dommage encore, d'autres actions essentielles à l'avancée de l'intrigue manquent et d'intérêt et de variété. Entre chaque acte, il s'agira d'accrocher les autres tableaux du peintre au bon endroit dans le musée pour compléter l'exposition, et, durant l'enquête, quelques vidéos bonus seront disponibles après avoir réussi un petit mini-jeu, de type memory, simon ou mastermind. Ces séquences d'accrochage de tableaux ou de puzzles ne sont pas si pires - même si elles relèvent de l'anecdotique dès la première partie - mais deviennent gonflantes à mesure que l'on enchaine les runs, et que l'on doit se fader pour la énième fois ce puzzle de mémoire ou de réflexion et raccrocher encore et encore les mêmes tableaux sur les mêmes emplacements. Encore une fois, l'idée est sympathique, mais l'exécution, assez balourde, montre les limites de D'Avekki Studios en termes de conception et de game design dès lors qu'ils sortent de la pure production d'enquête en FMV. On saluera tout de même l'originalité du concept et la sortie de zone de confort, loin d'être un échec, en espérant juste que les prochains titres bénéficieront d'un peu plus de polish et de soin dans l'exécution.
Murderous Muses a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PlayStation 4 et 5, Xbox One et Series et Nintendo Switch.
Murderous Muses est sans aucun doute le projet le plus ambitieux et le plus riche de D'Avekki Studios, autant en termes d'enjeux narratifs, que de mise en scène, de structure et de contenu. Il reprend ce qui faisait le succès des précédentes productions - les enquêtes rejouables, l'ambiance mystérieuse et le casting - et pousse le tout un peu plus loin, avec plus d'éléments, plus de vidéos, plus de mécaniques et leviers de déduction. On regrettera un concept central, certes très malin, mais assez compliqué à comprendre et à expliquer, mais surtout des mécaniques annexes pas bien passionnantes et un peu plus pénibles à chaque nouvelle run. Rien qui ne m'ait empêché d'être complètement passionné par chacune de mes parties, et de chaudement le recommander à qui aime la douce étrangeté des FMV britanniques de série B.
Les + | Les - |
- Un concept original et intéressant... | - ... mais compliqué à comprendre et expliquer |
- L'ambiance et l'écriture sont toujours aussi prenantes | - Quelques mécaniques annexes pas très intéressantes et répétitives |
- Énormément de contenu et de rejouabilité |
Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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