Il va falloir s’y faire : à force de jouer les cacous avec la mer en pratiquant la surpêche, le réveil d’un poisson géant mécontent qu’un hameçon lui ait chatouillé les narines d’un peu trop près est la moindre des choses qui puissent arriver. Alors quand le bien-nommé Skyfish, seigneur des profondeurs et des cieux quand ça l’arrange, décide de punir les habitants du Village des pêcheurs en les transformant en poissons, il n’y a plus qu’à attendre l’arrivée de celle qui, sous les traits du Petit Hameçon Rouge, va rappeler au tout-plein d’écailles que sa place se trouve quelques kilomètres sous l’eau et qu’à la surface, aux humains de faire la loi. Ou quelque chose comme ça.
C’est aidée de Moonwhale, la baleine ancestrale, que l’on débarque sur la première île, en quête d’un totem à détruire. Trois « mondes » et boss respectifs, 15 niveaux par monde, soit une potentielle durée de jeu au premier regard raisonnable pour un titre à l’envergure, disons, modeste. Au long des premiers niveaux et de l’apprentissage des mécaniques qui vont mener l’expérience, tout semble là pour que la sauce prenne. Hélas, notre précieux fil est lesté par tout un tas de petits plombs embarrassant la partie de pêche qui se joue depuis trop peu de temps.
J’aime les algues, oui, j’aime les algues
Legend of the Skyfish (du développeur brésilien Mgaia Studio : leurs précédents jeux ne renversent pas les têtes à première vue, mais l’éditeur Crescent Moon Games avait su attirer auparavant notre attention avec Morphite et The Deer God) essaie d’équilibrer sa recette d’action/aventure/puzzle autour d’un accessoire central que les amateurs de RPG à tendance musarde connaissent bien : la canne à pêche. Nos envies de mécanismes et de casse-tête bien huilés s’étaient déjà mises à picoter. Au sein de niveaux fonctionnant comme autant de petites instances prélevées à un prototype de Zelda, il va s’agir de faire son petit bonhomme de chemin en activant des interrupteurs, en se débarrassant d’ennemis, ce qui aura souvent comme finalité d’ouvrir une porte, menant à la deuxième, voire troisième partie de l’île pour les niveaux les plus longs. Au bout des épreuves, un totem tout moche à casser et nous voilà revenue sur le dos de Moonwhale, voguant peinarde vers le prochain bout de terre de l’archipel. Pour venir à bout des embûches, notre canne à pêche a un petit côté grappin pas désagréable : tirer un bloc sur un interrupteur inaccessible, amener vers soi des méchants en les étourdissant au passage, ou tracter notre frêle carcasse via un point d’accroche bien placé, autant d’actions qui auraient pu bien fonctionner si le level design n’était pas si limité.
Car parler de puzzles peut sembler quelque peu exagéré quand il suffit d’activer les interrupteurs que l’on croise pour avancer. Et évoquer de « l’aventure » quand l’exploration se résume à tirer tout droit, excepté pour suivre le signal sonore en forme de poisson volant (il répond au nom de Fizyx, autant avouer qu’on a dû chercher l’info sur Internet) pour aller ouvrir un coffre sur le bas-côté du chemin, c’est en rajouter, et pas qu’un peu. De l’équipement à ramasser, donc ? Oui, bien que son intérêt se révèle à la fois sommaire – il faut pouvoir continuer l’aventure si on est passé à côté – et totalement abusé. Si la difficulté est vite croissante, pièges et ennemis se concentrant parfois, elle reste relative grâce audit barda, en particulier les différents modèles de canne à pêche sur lesquels on tombera (gel, force assommante…), que l’on pourra équiper à loisir au début de chaque niveau, et aux checkpoints fréquents, qui verront votre jauge de vie se recharger. Les rares moments de pression et d’excitation que l’on pourrait ressentir sonnent généralement la fin du niveau en cours, là où on attendrait un nouveau défi.
COMMENT CA, PAS FRAIS ?!
C’est en un sens le coeur du problème du jeu : un profond manque de rythme, qu’illustrent bien les combats. Aussi limitées que soient les actions (frapper et attirer à soi), c’est surtout la vitesse de jeu qui se révèle trop lente pour que les joutes se montrent vraiment dynamiques, ce à quoi s’ajoute la mobilité restreinte de l’héroïne. Les ennemis, aux capacités parfois fort embêtantes et bien que plus résistants au fil des niveaux, ne sont que rarement une menace, et l’amélioration de l’équipement pallie vite au risque que représente un groupe de vilains qui, au pire, nous fera perdre un coeur. Il faut s’attendre à des retours aux checkpoints si l’on fonce tête baissée et capuchon sur les yeux, mais rien qui ne résistera à quelques essais, amenant les niveaux à s’enchaîner avec inconsistance, lassitude sous le bras.
La pratique intermittente sur téléphone atténue peut-être ce souci (on ne pariera vraiment pas sur une expérience renouvelée sur PC), mais dire que le rythme viendrait des constantes interruptions de jeu, ce serait fermer les yeux sur le manque général de souffle du titre, que l’enrobage vient souligner. Difficile dans un premier temps de ne pas craquer pour la patte graphique de Legend of the Skyfish qui, entre modèles trognons aux animations qu’on dirait faites en direct à la main et palette de couleurs chatoyantes, tombe pile où il faut sur le segment du conte (point bonus pour les vagues toutes mignonnes qui s’enroulent sur elles-mêmes). C’était sans compter sur le fait que les environnements vont se répéter ad nauseam tout au long d’un même monde et finirent par blaser notre oeil pourtant accroché. Il en va de même pour la musique qui, après un menu-titre bercé par le son des vagues, ne trouvera qu’une seule boucle, certes jolie et thème des boss mis à part, dans laquelle s’épanouir.
On note enfin un certain nombre d’accrocs plus ou moins frustrants auquel on s’habituera par la force des choses : le contrôle tactile n’a jamais été des plus précis et ce n’est pas aujourd’hui que le vent tournera, malgré une prise en main rapide, même pour les joueurs débutants (on a testé) et la possibilité de brancher une manette (on n’a pas testé) ; certains bouts de décors se voient donner un rab de mur invisible qui malmène un peu plus le contrôle de l’héroïne ; enfin et plus embêtant encore, les coeurs perdus s’affichent pleins après qu’on ait rempli un objectif, ce qui mène à de mauvaises surprises lorsqu’il n’en restait qu’un, et l’écran tactile confond parfois les touches de déplacement et de visée à la canne à pêche, occasionnant des lancers de ligne hasardeux. Des toussotements techniques jamais agréables sur un jeu déjà esquinté.
La veine action restant à l’état embryonnaire, les efforts des développeurs se sont concentrés sur le travail de level design pour avoir quelque chose de sans cesse un peu différent dans le rythme que le jeu propose, et n’arrivent qu’à un résultat peu satisfaisant. En ressort cependant une certaine fluidité, comme si la réussite de la quête ne faisait aucun doute dès le départ, comme si elle était inscrite dans le fonctionnement-même de l’univers, à l’image de ces niveaux qui demandent de détruire leur totem grâce aux outils et mécanismes présents dans l’architecture environnante. Si la crédibilité de l’univers en prend un coup, naît l’impression d’expérimenter une sorte d’avancée fantasmagorique où le danger ne demande qu’à être détruit. Skyfish souffrirait-il d’une tendance autodestructrice ? Nous le saurons peut-être dans la suite du jeu, actuellement en développement. Et comme il y avait décidément quelque chose à faire avec cette canne à pêche – grappin à poisson, on espère aussi trouver l’aboutissement de l’objet et des mécaniques adjacentes dans le prochain sillage colérique du grand poisson primitif.
Legend of the Skyfish a été testé sur Android, trouvé et acheté par nos bons soins au gré de soldes gesticulant pour nous faire craquer – ce qu’on a fait de bon coeur, toujours heureux de dépenser moins d’argent pour du travail estimé misérable par avance.
Tournant autour d’un objet, la canne à pêche, la chouette idée de départ qui se profilait dans Legend of the Skyfish trouve vite ses limites dans un level design mou du mérou. La cinétique générale, malmenée par des contrôles tactiles asthmatiques, ne permet pas à cet élève de l’école Miyamoto de faire ses preuves, malgré un joli coup de poignet artistique. Peut-être se laissera-t-on appâter par sa suite, en attendant, on évite poliment.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
follow me :
Articles similaires
Uncle Chop's Rocket Shop - CaPIGtalisme galactique
déc. 06, 2024
Mythwrecked: Ambrosia Island - (Trop) Sages divinités
déc. 04, 2024
Toads of the Bayou - Crapaud l'artiste !
nov. 25, 2024