La sortie d’un nouveau jeu Paradox est toujours un petit événement dans le cercle des fans de grande stratégie. Premier nouveau titre depuis 2016, l’année de Stellaris et Hearts of Iron IV, Imperator : Rome retourne à une époque peu explorée par Paradox, à savoir l’ascension de la République Romaine.
Si la licence est nouvelle, la période ne l’est pas réellement : en effet, en 2008 sortait Europa Universalis : Rome, spin-off de leur licence la plus célèbre. Le titre, accueilli fraîchement par la critique, n’a pas marqué l’histoire des jeux Paradox et seuls quelques fans hardcores s’en souviennent avec une certaine nostalgie. Il aura donc fallu attendre onze ans pour que Paradox revienne à une période de l’Histoire absolument fascinante (de 304 Av. J-C, après la mort d’Alexandre, jusqu’à la chute de la République Romaine en 27 Av. J-C) avec Imperator : Rome. Une ère d’expansion et de trouble dans le bassin méditerranéen, entre guerres puniques et chute des royaumes héritiers d’Alexandre l’Acceptable, le titre promet d’être un jeu important pour Paradox. Verdict (on dit « ouerdict » en latin).
Fide, sed cui vide
C’est difficile d’approcher un jeu Paradox pour une critique. On peut très vite tomber dans la bête description des mécaniques sans trop les mettre en contexte dans la période du jeu. Par exemple, je pourrais vous parler de la mécanique de classe sociale, et de son influence sur la gestion de votre empire, vous expliquer que les citoyens, les hommes libres, les tribus et les esclaves sont les 4 castes qui vous permettront d’influer sur votre empire. Bon je viens de vous le faire. Mais il faut dire que c’est un des cœurs du jeu. En effet, la stratification sociale était très importante dans la société antique : s’il était difficile de passer d’une caste à l’autre (en particulier pour les esclaves), chacune avait son importance dans le bon fonctionnement de la société. Comme pour Victoria II et son système de classes, Paradox a ici transformé une réalité historique en mécanique de jeu. Évidemment, vous pouvez parfaitement faire votre partie sans vous occuper réellement de votre population au niveau quasi individuel, mais les passionnés d’optimisation passeront probablement des heures à micro-gérer leur territoire.
L’époque est dominée par Rome, il n’y a pas à discuter. Et qui dit Rome de l’époque, dit République. Et Sénat. Si vous désirez jouer une République, il faudra vous attendre à gérer un Sénat réfractaire, des généraux qui auront leur propre loyauté et des familles patriciennes qui voudront une place dans le fonctionnement de la République, sous peine de se sentir mises à l’écart. Le Sénat change beaucoup la dynamique, et très vite, vous serez tenté d’ignorer la volonté de celui-ci, mais ça fera monter votre Tyrannie, provoquant de plus en plus de malus et d’instabilité. Encore une fois, on a une mécanique qui est une retranscription de ce qu’était la République. Paradox aurait pu être fainéant et se contenter de peaufiner Rome, le jeu porte son nom après tout, mais il est tout aussi agréable de jouer un Royaume. L’avantage d’être Roi, c’est que le temps est plus long : quand vous êtes Consul, vous avez 5 ans pour faire ce que vous voulez faire avant que le Sénat ne soit modifié et change peut-être de parti au pouvoir (le parti mercantile n’a pas la même tolérance à la guerre que le parti militariste). Mais un Roi, lui, s’en fiche, et votre seule problématique sera que votre héritier soit le plus légitime, ce qui vous laisse une quarantaine d’années max pour vous occuper de ce petit souci.
La loyauté n’est pas limitée à votre gestion du Sénat, car il faudra également veiller à ce que vos généraux le soient. L’époque est caractérisée par une certaine propension aux guerres civiles provoquées par des généraux ambitieux. Si vous ne faites pas attention, il est tout à fait possible que votre légion la plus forte vous trahisse soudain et échappe à votre contrôle. Ce n’est pas grave tant que le nombre de troupes peu loyales ne dépasse pas les 33%. Dans ce cas, le compteur de « guerre civile » se déclenchera et il faudra vous préparer à affronter vos ennemis sur le champ de bataille (ou les acheter/bannir/assassiner avant qu’ils n’agissent, vous avez tout un catalogue d’actions possibles). La politique est un art délicat dans Imperator : Rome, pas aussi développé que dans Crusader Kings II bien sûr, mais on sent que le jeu se veut une version light de son aîné.
Vivere militare est
Qui dit Paradox, dit guerre. Dans leur cœur, les titres du développeur suédois sont des wargames, et ils sont très inscrits dans la tradition du jeu de plateau à l’allemande. Pour la petite histoire, le « kriegspiel », jeu de guerre moderne, est apparu en Prusse au XIXe siècle. Ces kriegspiel sont caractérisés par une approche plus scientifique et plus technique que leurs précurseurs que sont les échecs. C’était votre point culture de la review, ne me remerciez pas. Imperator : Rome met donc une grosse emphase sur la guerre, d’autant que la période dépeinte est agitée : à l’est les empires héritiers d’Alexandre s’effondrent, tandis qu’à l’ouest Rome et Carthage se développent, la collision entre les deux puissances est inévitable. Dans le jeu, vous avez moins les mains liées que dans d’autre titres de Paradox : vous recrutez vos armées, vous les regroupez en Légions (le jeu récupère la mécanique d’Europa et de Stellaris de directement recruter dans l’armée, les renforts se fusionnant automatiquement). Votre seule limite sera votre valeur de personnel, proportionnelle à votre population, que vous augmenterez avec vos bâtiments, lois et conquêtes. L’époque étant plus ancienne, beaucoup plus de terrains sont considérés comme « impraticables » et ne peuvent être franchis. Vous pourrez exploiter ces goulots d’étranglement pour la défense de votre empire en plaçant quelques forteresses et en stationnant une armée, apportant une dimension stratégique supplémentaire bienvenue.
À propos de conquêtes : on est pas dans un Europa Universalis ou un Crusader Kings, où conquérir trop, trop vite, vous posera problème. Les pénalités d’extension rapide sont clémentes, et atteindre les 50% fatidiques, où les malus les plus sévères se déclenchent, est quasiment impossible, à moins que vous ne conquériez la moitié de la carte d’un coup. Il est difficile de se débarrasser des réflexes qu’on a acquis au fil de son expérience sur les autres jeux de Paradox, mais au même titre qu’un Hearts of Iron, Imperator : Rome est un jeu de conquête. Vous pourrez vous étendre par la diplomatie (avec un système de vasselage, puis d’intégration hérité de Stellaris) mais ça prendra du temps, et de toute façon il faudra vous étendre pour que vos voisins les plus faibles vous prennent au sérieux. Mon conseil : n’hésitez pas à foncer dans le tas et à peindre la carte de votre couleur, tout en gardant quelques fidèles vassaux sous la main à intégrer.
Un petit avertissement maintenant. J’ai eu, sur ma version presse 1.0, de gros soucis techniques. Deux de mes parties ont tout simplement cessé de fonctionner au bout de quelques heures de jeu : 10h dans l’un des cas avec Rome et plus de 30 dans le second avec l’Egypte. Je n’ai jamais pu récupérer ma première partie avec Rome, mais j’ai finalement réussi à récupérer celle d’Egypte en bidouillant sans trop savoir ce que je faisais. Il est fort possible que le problème soit issu de mon ordinateur, mais dans le doute, vérifiez peut-être sur des forums après la sortie si d’autres personnes relèvent ce genre de problèmes. Niveau performances, le jeu se débrouille bien, il ralentit moins en fin de partie que Stellaris, on sent le travail sur la nouvelle version de leur moteur, le jeu passant enfin en 64 bits, et pouvant correctement exploiter les processeurs multi-coeurs. Et sinon pour conclure : comme d’habitude la localisation française est désastreuse, des textes manquent, certains sont mal, voire pas, traduits. Avec le succès de leurs jeux, et la grosse communauté française, ça commence à devenir agaçant de ne pas avoir de localisation correcte dans la langue de Molière.
Imperator : Rome a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Imperator : Rome est un très bon Paradox. Contrairement à Stellaris à sa sortie, il ne semble pas être à moitié fini. Le jeu est profond, intéressant, complexe, et il n’a pas cet arrière-goût de « les DLC le rendront mieux dans un an » propre à la plupart des jeux de Paradox. Imperator : Rome est une déclaration d’amour à la période antique, un jeu qui vous plonge dans cette époque de trouble, où Rome posera les bases de ce que sera la civilisation occidentale pour les 1000 ans à venir. Cerise sur le gâteau : le titre est beau, l’interface élégante, et il est un petit peu plus accessible que ses aînés. Si j’espère que les soucis majeurs que j’ai eu n’étaient que la faute de mon PC, j’ai quand même hâte de voir ce que l’avenir réserve à Imperator : Rome, et en attendant je vous laisse, j’ai la Méditerranée qui m’attend.
Tritri
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