En 2018, commencer un jeu long d’une centaine d’heures par une cinématique de plus d’une heure et demie comprenant flashback, ellipses et longues phases de fouille dans des forums austères du début des années 2000, le tout sur fond de graphismes PS2 lissés déjà pas bien jolis à l’époque est, disons, au minimum un pari risqué. C’est pourtant bien l’aventure que nous propose la compilation .hack//G.U. Last Recode, sortie début novembre, constituant ainsi la première sortie officielle en Europe d’une série de RPG symbolique, pour le meilleur et pour le pire, du crépuscule de la Playstation 2. Prenant place dans la mythologie particulièrement broussailleuse de l’univers .hack, les épisodes Last Recode ont le mérite d’être un point d’entrée tout à fait convenable, la question demeurant : convenable, oui, mais pour quel public ?
.hack//W.T.F ?
Ahh, l’Univers .hack (prononcez « dot hack »). On l’a peut-être un poil oublié avec les années, mais tout au long des premières années du millénaire, .hack était le Cool. Énorme Médiamix mélangeant jeux vidéo, romans, mangas, animés, jeux de carte et autres films, l’ensemble constituait un gloubiboulga peu lisible où le pire côtoyait le meilleur et dont la thématique centrale (le rapport des gens aux MMORPG comme on les pensait il y a vingt ans) est aujourd’hui plutôt datée. Forums, chatrooms, guildes, abonnements, confusion entre le joueur et l’avatar, sur fond de simulation de jeu de rôle quelque part entre World of Warcraft et un free to play coréen de fantasy générique de 2005, voilà ce que vous proposaient les œuvres .hack. Au cœur des différentes intrigues, un motif désormais banal qui revenait avec plus ou moins d’insistance : tu meurs dans le jeu, tu meurs en vrai. Ou tu disparais, ou tu deviens fou, vous voyez l’idée.
L’idée d’un jeu en ligne si total qu’il en vient à impacter lourdement, voire définitivement la vie de ses usagers est aujourd’hui un cliché très répandu des œuvres culturelles au Japon. Overlord, Sword Art online, Accel World, Log Horizon : ce stéréotype est lui-même devenu le sous-genre d’une approche plus large de ce type d’histoire, l’Isekai. Signifiant « autre monde », ce cliché désigne les œuvres où un protagoniste va se retrouver projeté (souvent contre son gré) dans un monde étranger dont il va devoir comprendre et contourner les règles. Il n’est pas innocent que l’oeuvre quasi séminale Sword Art Online ait été publiée au moment où .hack battait de l’aile. Il est peu probable que son auteur, Reki Kawahara n’ai pas passé de longues nuits sur .hack//Sign ou sur ce .hack//G.U. tant la parenté entre les œuvres est évidente. En tant qu’objet patrimonial, cette compilation est une plongée passionnante dans le monde des œuvres parlant d’un Internet aujourd’hui disparu. Un Internet pré-réseaux sociaux, pré-twitch et pré-smartphones, aux modèles économiques et habitudes de consommations bien différents.
Très concrètement, cette tétralogie vous plonge dans le futur, en 2017 (imaginez : les voitures qui volent, les combinaisons en aluminium, l’ADSL illimité avec 1 Go de téléchargement par mois, Lycos et Altavista encore au moins deux fois plus rapides pour aller rechercher des sites sur les autoroutes de l’information), et se situe chronologiquement après l’intrigue de l’arc .hack//Sign. A la suite de divers événements ayant un peu pourri l’ambiance sur Internet, les MMORPG sont en déclin, spécialement ceux administrés par des I.A autonomes et malveillantes. Dans un effort pour débugger Internet et rendre les réseaux à nouveau viables, les administrateurs du plus gros Meuporg lancent une nouvelle version de leur jeu The World, sorte de Final Fantasy XIV avec un gameplay entre Zelda et Baldur’s Gate. Le jeu se retrouve immédiatement envahi de PK, d’infâmes « tueurs de joueurs », eux-même traqués par des « PKK » (Player Killer Killer), dont fait partie Haseo, notre héros, en quête de vengeance car son amie Shino est dans le coma (dans la vraie vie) après avoir été attaquée par le PK « Terror or Death » (dans le jeu). Vous trouvez ça kitsch ? Vous n’avez strictement rien capté ? Dites-vous que j’ai fait simple.
.Chara//bia
En tant que jeu vidéo, la compilation .hack//G.U a peu à offrir. Son gameplay était déjà daté en 2006, tentative maladroite de moderniser (comprenez : rendre plus bourrin) le système très classique de la série. Pauvre et confus à la fois, avec une interface balourde, .hack//G.U. Last Recode est l’avatar de cette période où les sociétés japonaises avaient perdu tout sens de l’esthétique et de l’expérience utilisateur, et où les jeux de Rôle de l’archipel cherchaient désespérément à complexifier un gameplay de moins en moins lisible tout en rendant de plus en plus bourrine l’expérience de jeu. On est peu avant les FF XIII, Infinite Undiscovery et autres Last Remnant, ces jeux qui, nonobstant leurs qualités, semblaient pensés en dépit complet du bon sens.
A moins que vous soyez un forcené des expérimentations ludiques d’une époque qui n’est clairement pas l’âge d’or du genre et où l’essentiel de la scène JRPG fuyait vers les consoles portables, ce n’est certainement pas ce que vous ferez concrètement dans ce titre qui vous fera rester. Jamais injouable, jamais agréable à jouer, la tétralogie offre juste une expérience datée et pesante. Reste donc le scénario, qui, à l’image du titre du jeu et de ma pitoyable tentative de résumé, ne brille pas par sa sobriété et son accessibilité. Loin d’être sans intérêt, abordant des thèmes parfois passionnants et photographie très intéressante de la manière dont on percevait le futur des réseaux il y a une quinzaine d’années, le scénario de .hack//G.U Last Recode se noie cependant quelque peu dans un côté verbeux, des scènes cinématiques interminables, une exposition constante, ne laissant aucun répit au joueur qui, entre deux combats, finira systématiquement noyé sous des tombereaux de textes souvent dispensables.
Mais soyons justes : pour peu qu’on s’y attarde un minimum, et qu’on fasse l’effort conséquent de se replonger dans l’ambiance de l’époque, la compilation offre des moments de bravoure assez épiques, et une cohérence scénaristique plus tangible que, mettons, l’univers baroque et tordu d’un Kingdom Hearts. Véritable plongée dans la manière dont on envisageait l’avenir des réseaux informatiques et du jeu en ligne il y a seulement une dizaine d’années, la franchise .hack livre l’étrange sentiment que la dystopie qu’elle présente était presque vivable et bienveillante au regard de l’état d’Internet en 2018. Comme le reste de la franchise, .hack//G.U. Last Recode est un témoignage vibrant d’un Japon à la fois conscient de l’abîme potentiel des technologies de pointes et profondément positiviste et technophile.
.A Qui//Ça s’adresse ?
Difficile de placer l’univers .hack à la racine la plus lointaine de toutes les œuvres du même genre qui ont pullulé après elle (de Dennou Coil à Summer Wars). Elle est cependant le témoignage d’une époque où ces thématiques liées aux évolutions d’Internet et au devenir de nos avatars ont passionné les créateurs japonais, les poussant dans toutes les directions. Des œuvres plus anciennes encore (Serial Experiments Lain par exemple) poussaient dès la fin des années 90 la réflexion encore plus loin, avec des analyses demeurant pertinentes vingt ans après.
Rien d’aussi profond ou révolutionnaire dans la tétralogie .hack//G.U. Last Recode. C’est un solide témoignage de son temps, une sorte de milestone dans la réflexion menée par les auteurs de SF nippons de cette époque, et un témoignage un peu tragique du naufrage du JRPG de l’époque, incapable de trouver une cible et de s’adapter à l’évolution du goût du large public. Reste la question de la cible de cette compilation aujourd’hui. Une oeuvre datée, au portage certes impeccable (large contenu, fluidité exemplaire, aucun bug à l’horizon…), mais au rythme et au gameplay extrêmement rudes, même si on l’a connu et supporté à l’époque. L’aventure totale pourra vous prendre jusqu’à 150h, que peu de gens sont aujourd’hui à même de consacrer à une oeuvre de ce style.
Je crains, au fond, que la compilation de Bandai Namco ne puisse pas viser plus large que l’unique et minuscule public de nostalgiques acharnés de la franchise qui attendaient envers et contre tout une conclusion à l’univers de The World. Trop daté pour les nouveaux venus, trop ringard pour la scène RPG actuelle, pas assez rétro pour les amateurs de gros pixels, il aurait sans doute fallu, pour viser plus large, un remake ambitieux, voire un reboot complet adapté aux standards actuels. Ce qui aurait rendu une confrontation avec les jeux tirés des séries Accel World et Sword Art Online extrêmement frontale, et divisé encore un peu plus un public très niché. Pas très malin dans la mesure où ces adaptations sont elles aussi des produits Bandai. Et malgré le travail très propre effectué sur cette compilation, il semble évident que l’éditeur a actuellement bien d’autres chats à fouetter.
La compilation .hack//G.U. Last Recode est une spectaculaire réussite technique. Tournant à merveille, généreuse en terme de contenu, arrivant à rendre quasiment belles des cinématiques qui accusaient pourtant déjà le coup à l’époque des jeux, et se payant même le luxe d’un quatrième jeu, il serait absurde de ne pas conseiller aux nostalgiques des RPG 3D de la Playstation 2 de s’intéresser de près à cette anthologie. Pour tous les autres, et particulièrement pour ceux n’ayant jamais pratiqué la franchise .hack, l’expérience risque en revanche de piquer. C’est qu’en quinze ans, le jeu vidéo a trop progressé, et que Last Recode, avec toute la meilleure volonté du monde, ne peut se dépêtrer de son image de RPG symbolique d’un genre alors en plein déclin. Bavarde, poussive, répétitive, mal rythmée, rigide, la série porte les stigmates qui collaient à beaucoup de Jeux de Rôles japonais de cette époque, difficultés qui mettront une bonne dizaine d’années à être surmontées. Face à la production actuelle, .hack//G.U. fait pâle figure. Loin d’en faire un mauvais titre, cet état de fossile dépoussiéré avec soin le réserve cependant à une poignée de nostalgiques d’une franchise un peu perdue dans les brumes de l’Histoire Vidéoludique.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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