C’est depuis le Canada que le studio Drinkbox avait bluffé tout le monde avec l’étonnant Guacamelee en 2013, mélange improbable entre Metroid et Double Dragon, sur fond de gloubiboulga pseudo-mexicain. Un jeu fun, beau, rythmé, pétri de bonnes idées. Cinq ans plus tard, après de nombreuses rééditions et portages du jeu, voilà que débarque sa suite, sobrement intitulée Guacamelee 2.
En 2013, on ne parlait pas encore « d’indiepocalypse », moins de 600 jeux sortaient par an sur Steam (8000 en 2017, vraisemblablement plus de 10 000 cette année), et il suffisait de faire un bon jeu pour en vendre des brouettes pleines. A peine besoin d’en parler : il y avait de la place pour tout le monde, et le bouche à oreille faisait encore son office. Seulement un lustre, mais le monde semble avoir complètement changé depuis. Quand le très sympathique Guacamelee est arrivé sur les étals virtuels, il s’est donc écoulé à plus d’un million d’exemplaires dans le plus grand des calmes, et s’est vu complété par une édition complète, une sortie physique collector, et une petite place dans le hall of fame des jeux indépendants qui comptent. Cependant, en 2018, être « juste bon » ne suffit plus, et on était en droit de s’inquiéter d’un Guacamelee 2 qui a été annoncé et développé dans un silence complet, et qui sort aujourd’hui sans tambours ni trompettes. Et, hélas, une fois le jeu lancé, on sent immédiatement que le titre de Drinkbox n’est pas promis au brillant avenir de son ancêtre.
J’ai jamais connu un Mexigros que toi
Quelques années ont passé depuis que Juan le Luchador a délivré sa princesse des griffes du méchant Calaca et sauvé le Mexivers (excusez du peu) d’une fusion entre le monde des vivants et celui de los muertes. Désormais bedonnant, flasque et moustachu dans son champ d’agaves au milieu des cactus et des fontaines à guacamole, Juan regarde des telenovelas toute la journée en buvant de la Corona pendant que sa femme prépare des tortillas, ay carrrramba, et toutes ces sortes de choses. S’ensuit rapidement une sombre histoire de voyage dimensionnel où Juan se retrouve projeté dans une timeline beaucoup plus sombre que la sienne où il a été liquidé par ses ennemis. Il va donc devoir reprendre du service et ramener cette dimension cauchemardesque vers la lumière en affrontant celui qui a tué le boss de fin à sa place, et en a profité pour établir sur ses terres un royaume démoniaque.
N’allez pas croire que Guacamelee 2, malgré ce point de départ plus sinistre, soit moins crétin ou plus mature : comme je le laissais sous-entendre plus haut, on est toujours dans une sorte d’attraction Disney faussement irrévérencieuse en hommage au folklore (comprenez : aux clichés) le plus éculé sur le Mexique. Poulets qui parlent, jour des morts, squelettes rigolos, statues maya et guacamole en guise de space cake. Entre ça et sa propension aggravée à faire une référence à n’importe quel ânerie pop-culturelle toutes les trois minutes, le très bavard Guacamelee 2 agace rapidement. De Musclor à Super-Mario en passant par les Avengers, tout est bon tant que ça fait « wink wink ». En répétant à l’envie les mêmes Dad Jokes que le premier jeu, le titre de Drinkbox adopte un ton qui s’est ringardisé à la vitesse de la lumière, en à peine un lustre. C’est triste, puisqu’il a inspiré bien des jeux qui, à force de l’imiter, ont rendu cette frénésie d’humour à deux balles et de références forcenées absolument pénible en 2018. Comme quoi, se reposer sur ses acquis, ça va cinq minutes.
Si j’ai l’air un poil aigri, c’est que les bêtises que Guacamelee 2 s’évertue à raconter ne sont qu’un symptôme de ce qui ne va pas vraiment. Car après tout on peut passer les dialogues, et certains moments prêtent tout de même à sourire. Le problème de ce jeu est qu’il fait à peu près tout exactement, au pixel près, comme son premier épisode. En légèrement moins bien.
Le même, en plus long mais moins jouable.
Pour vous décrire ce que l’on fait concrètement dans Guacamelee 2, il suffit que je copie colle ce que j’aurais pu écrire sur le premier : on explore des zones, comme dans un bon vieux Metroid, on récupère des pouvoirs, sensiblement les mêmes que dans le premier jeu, on a des phases de plates-formes, qui ressemblent étrangement à celles déjà traversées il y a cinq ans, on cherche des raccourcis et des cachettes pas bien planquées, et on mêle tout ça de beat-them-up en arène fermée, chaque arène étant supposée valider une compétence que vous venez de récupérer (frapper vers le haut, donner un coup de boule, switcher entre monde normal et monde des morts, etc). Tout fonctionne à peu près, mais aucune idée ne fait mouche.
Le souci, c’est que les idées, à une transformation en poulet près, Drinkbox les a déjà eues il y a cinq ans. Rien ne semble avoir bougé d’un iota. Ni les combats, ni les boss, ni les challenges proposés : tout ressemble à une maison de campagne dont on ne saurait quoi faire, sinon passer son doigt sur les meubles pour en évaluer l’épaisseur de la couche de poussière. Pire : la structure couloir/plate-formes/arène de combat semble encore plus marquée que dans le premier épisode, donnant l’impression rapide d’une boucle de gameplay minuscule qui devient lassante bien avant de boucler les dix heures de l’aventure principale (un peu plus si vous voulez finir le jeu à 100% et dénicher tous les trésors et autres améliorations de personnages).
Coincé entre des Celeste et autre Dead Cells qui doivent beaucoup au premier Guacamelee mais ont largement transformé et amélioré le gameplay des jeux de la vague indie du début de la décennie, ce jeu devient même franchement gonflant aux entournures lors de quelques séquences où le gameplay ne répond pas au doigt et à l’œil, ou quand l’implantation des boutons semble parfois échapper à toute logique (le dash en haut à gauche de la manette, mais pourquoi ?). Il m’est ainsi arrivé après huit ou dix heures de jeu de buter contre des énigmes à cause de temps de latence dans les commandes ou de game design peu lisible. Dans l’ensemble, la structure du jeu est fonctionnelle, mais n’est jamais excellente. Quelques jours après avoir fini Guacamelee 2, je serai incapable d’en citer le moindre moment marquant.
Mais tout de même, c’est joli et y’a de la coop.
S’il y a bien un point que les développeurs de Guacamelee 2 ont néanmoins su travailler, c’est la direction artistique de leur jeu. Bien que le Mexique carnavalesque de Drinkbox soit en carton-pâte, force est de constater que le parc d’attraction est joli. Les décors fourmillent de détails, la bande son est envoûtante, et la variété est au rendez-vous. Bien que très sous-exploité, le passage du monde des vivants au monde des morts est instantané, et livre deux versions magnifiques de chaque lieu traversé. Ce soin est particulièrement appréciable concernant le héros du jeu, Juan, qui pourra être à volonté échangé contre un des autres personnages jouables (pour ceux qui préféreraient une guerrière squelette à un luchador bedonnant, par exemple), et chacun d’entre eux possède un design et des animations travaillées et attachantes qui poussent à vouloir débloquer tous les avatars du titre. La beauté parfois bluffante de Guacamelee 2 a d’ailleurs été au cœur de la très maigre communication effectuée autour du titre en amont de sa sortie.
L’autre aspect du jeu mis en avant par les développeurs n’est pas tout à fait une innovation : il s’agit de la possibilité de parcourir le jeu en coop locale. C’était déjà possible dans le premier volet, mais la possibilité monte désormais à quatre joueurs. Les jeux en coop locale sont une denrée si rare, surtout pour plus de deux joueurs, que nous n’allons pas bouder notre plaisir : aussi bordélique à l’écran soit le résultat, l’initiative est bienvenue, et démarque véritablement Guacamelee 2 de la concurrence.
Ces deux points mis à part, il me faut tout de même préciser que les aspects peu engageants que j’ai pointé concernant le jeu ne sont pas, pris individuellement, vraiment rédhibitoires. En l’état, Guacamelee 2 est un incontestable bon jeu. Juste un bon jeu, avec quelques défauts. C’est même un titre que je recommanderai, certes sans ferveur, à tout amateur de metroidvania sans prise de tête. Mais, outre la surproduction qui noie n’importe quel titre dans un océan de sorties, force est de constater que le niveau d’excellence requise pour faire partie des meilleurs est aujourd’hui très élevé. J’ai cité Celeste, j’ai cité Dead Cells mais j’aurais tout aussi bien pu parler de OwlBoy, Hollow Knight, Ori and The Blind Forest ou Super Daryl Deluxe : autant de jeux récents qui écrasent le malheureux Guacamelee 2 presque en tout point. Même s’ils n’ont pour la plupart pas le bon goût de pouvoir réunir quatre potes autour d’un canapé et d’une pizza. Certes, c’est déjà bien, mais est-ce suffisant ?
C’est sans doute avec toute la bonne volonté du monde que le studio Drinkbox a créé ce Guacamelee 2. Mais durant les cinq années qui séparent les deux jeux, les développeurs semblent avoir fait du sur place. Sans être désagréable, il varie si peu qu’il m’a parfois donné l’impression d’être davantage un gros DLC qu’une suite digne de ce nom. Ce qui ne serait pas un problème si le niveau d’excellence du premier était atteint, devient un peu irritant quand, manette en main, on tombe trop souvent sur des arènes approximatives, des combats confus et du recyclage d’épreuves rapidement lassant. Un bon petit jeu, peut-être, mais en aucun cas la bonne surprise qu’il aurait pu constituer avec plus de polish et plus d’idées.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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