Premier jeu du studio Refugium Games, Greyhill Incident est un court jeu horrifique dans lequel vous luttez contre l'invasion de petits aliens façon Roswell dans votre village de ploucs américains dans les années 90. Une décennie dans laquelle le jeu semble avoir été conçu, à la manière d'un projet de shareware refourgué sur une disquette en bonus dans un magazine de bureautique.
Greyhill Incident pose en creux une question claire : est-ce que tous les foutus 12 000 jeux qui débarquent chaque année devraient être commercialisés ? Faire son studio, faire son jeu, le faire essayer à ses amis, le partager sur des plateformes communautaires, tout ça, c'est très bien. Mais est-ce que le moindre fatras douteux de gameplays approximatifs tournant à 12 fps doit impérativement être facturé 30 balles à des clients mal informés ? Ce que je veux dire, c'est que personne de raisonnable ayant déjà joué à un jeu vidéo et ayant eu ce truc dix minutes entre les mains ne devrait penser que c'est une bonne idée de le mettre en vente. A fortiori pour le prix d'un jeu complet de gros studio indé. Méconnaissance totale du marché ? Cynisme ? Aucune idée, mais c'est absolument catastrophique.
Aux frontières du réellement nul
Une voix dans le talkie-walkie me dit que je fais partie de la patrouille de surveillance du voisinage. Qu'on ne peut pas faire confiance ni aux flics ni au gouvernement fédéral. Je communique avec d'autres rednecks armés jusqu'aux dents qui barricadent leur maison. On me dit d'aller parler à je ne sais plus qui (mon fils, je crois). Il faut que je sorte de la pièce, ça me prend cinq minutes parce que le jeu tourne à trois images par seconde et que je me cogne dans les textures.
Je finis par trouver le gamin. Il parle, mais sa bouche ne bouge pas. Un journal télé nous dit que les aliens ont débarqué, mais qu'il ne faut pas paniquer parce que c'est un hoax. Un clébard se met à hurler dehors. Ou plutôt un ouah-ouah.mp3 de quelques secondes qui tourne en boucle jusqu'à ce que, péniblement, j'arrive à trouver la bonne porte de la maison pour sortir voir ce qu'il se passe. D'ailleurs, dès que j'essaye d'interagir avec une porte ou une fenêtre et que ce n'est pas ce que je suis supposé faire à ce moment précis, le héros me dit "je ne devrais pas faire ça".
Dehors, il y a des lumières et des maisons vides qui semblent s'illuminer de l'intérieur. On me demande d'aller dans le champ du voisin (où je trouverai un chat avec des ampoules aliens collées sur la tête). Puis, on me force à aller dans une caravane, où un type constitué de textures Xbox 360 et un chapeau en aluminium sur la tête me dit de prendre une batte de baseball et de casser des choses. Parce que maintenant, il ne faut plus ouvrir les portes, il faut taper sur les planches qui barrent l'entrée pour avancer. Ça ne marche pas (je vous laisse imaginer ce que ça donne quand, plus tard, on me donne un pistolet). Ah oui et aussi à un moment donné les aliens débarquent pour de vrai. Ils sont petits et moches, et ont laissé leur intelligence artificielle sur leur planète d'origine.
La soupe au shoot
Ça continue comme ça encore et encore. On me dit de rentrer chez moi en faisant des détours. Je me perds dans des champs où y'a rien. Le vrai challenge, c'est de se repérer dans un endroit où les portes et les barrières ont quasiment les mêmes textures. Toutes les maisons sont presque pareilles : vides. Sauf que des fois, maintenant, des petits bonshommes essayent de m'emmener dans leur soucoupe volante. Ils n'y arrivent pas très bien. Mais quand ça arrive, ils se plantent d'abord devant moi en faisant des cliquetis : c'est gentil de prévenir.
Parfois, on peut les taper, ou leur tirer dessus. Il y a des achievements qui poussent à tuer ces petites crottes malades de plusieurs manières possibles : en les tabassant avec une batte, en leur tirant dessus, et heu, c'est tout. Mais on peut aussi trouver plein de nouveaux chapeaux en aluminium. On peut apporter des clous à Bob. On peut écouter le sermon mal doublé d'un prêtre (il a mis une photo de femme à poil dans le confessionnal, car c'est un potiblagueur).
Après environ deux heures à me perdre et à tourner en rond et après divers game over (enfin, "enlèvements" puisque l'objectif est d'éviter de finir en sujet d'expérience pour les space Schtroumpfs), bah ça se termine. La fin est tellement stupide que je n'ai même pas compris si c'était une plaisanterie ou pas. Mais on a sauvé la meuf au passage, parce que ça ne serait pas un vrai jeu vidéo ringard si on ne sauvait pas une fille à un moment donné.
Des problèmes de mauvais aliens
Vraiment, ce n'était pas forcément nécessaire de nous imposer ça. Attention : je sais très bien à quel point faire un jeu vidéo, c'est horriblement difficile, ingrat, long et chronophage (le titre a d'ailleurs déjà reçu plusieurs patchs corrigeant en urgence les aspects les plus catastrophiques). Je sais aussi à quel point c'est dur d'avoir des idées qui fonctionnent et d'arriver à les transmettre en quelque chose d'intéressant. Mais il y a un moment où on touche, tout de même, aux limites de l'aveuglement : Greyhill Incident n'est pas un jeu vidéo complet ou terminé. Pas vraiment. C'est au mieux un prototype qui essayerait de nous dire "Hey, ça serait pas mal un petit jeu d'horreur-infiltration avec des aliens comme on les imaginait dans les années 50 ?". Eh bien oui, sans doute que ça serait pas mal.
Je ne vais pas tirer plus longtemps sur l'ambulance, parce que je pense que le principal problème est là : Greyhill Incident est une idée, mais tellement peu aboutie que je peine à qualifier ça de jeu vidéo complet. L'infiltration ne fonctionne pas, la direction artistique (si on omet celle des aliens, amusante) a vingt ans de retard, tout semble être un placeholder… J'aurais adoré jouer à une version beaucoup plus aboutie de ce jeu, du moins une version d'un walking sim où le personnage n'aurait pas les plus grandes difficultés à marcher. J'espère que ce brouillon complètement indigne d'être vendu en l'état ne va pas plomber son studio au point de ne pas pouvoir rempiler pour un second jeu. Parce que si second jeu il y a, il ne pourra qu'être plus abouti.
Greyhill Incident a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4 et 5 et sur les consoles Xbox.
J'imagine que dans l'esprit de ses développeurs, il y a un petit côté ironique à dépeindre un village des années 90 ravagé par des aliens de roman pulp des années 30 en déployant une galerie de personnages sortis d'un bac de DVD à un euro. Du moins, c'est ce qu'il m'a semblé percevoir à mesure qu'on me demandait de ramasser plein d'aluminium pour en faire de plus en plus de gants et de chapeaux anti-aliens. Sauf que Greyhill Incident n'est que ça : une étrange séquence ironique terriblement éloignée de l'idée qu'on devrait se faire d'un bon jeu d'horreur ou de science-fiction. Si c'est une blague, elle n'est donc pas très drôle, et elle est surtout vendue à 30 € douche comprise, ce qui ne va pas sans renforcer cette impression d'étrangeté : mais à qui donc Refugium imagine que s'adresse cette chose, au juste ?
Les + | Les - |
- L'idée derrière tout ça n'est pas idiote | - Hideux |
- Les premiers patchs ont rendu ça quasi jouable | - Perclus de bugs |
- Gameplay mou et confus | |
- Le chapeau en aluminium de Bob |
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
Articles similaires
Miniatures - La poésie du souvenir
nov. 20, 2024
Rogue Flight - Monte dans le robot, Zali !
nov. 16, 2024
Great God Grove - Queer et élastique
nov. 11, 2024