Annoncé très discrètement dans le courant de l’année dernière, Genesis Alpha One promettait de mélanger Roguelike, jeu de gestion et jeu de tir à la première personne (et nous n’avions pas plus compris que vous en quoi cela consistait). Le tout créé par Radiation Blue, un studio allemand totalement inconnu au bataillon mais composé d’anciens développeurs de Hitman, RIME et The Settlers.
C’est d’ailleurs un euphémisme que de dire que Genesis Alpha One s’est annoncé sans bruit. A part sa date de sortie, il a à peine annoncé plus que son concept, et quelques images qui laissaient entrevoir une direction artistique très froide, bizarre, et un peu angoissante. Depuis, Team 17, qui édite le jeu, a beaucoup précisé sa copie : ce que propose Genesis Alpha One, c’est la construction d’un vaisseau spatial supposé dénicher un nouveau foyer pour les humains, le tout dans une galaxie hostile, tout en vous permettant d’incarner à la première personne le capitaine du vaisseau, vous donnant la possibilité d’alterner phases de gestion, phases de collecte de ressources et moments de batailles spatiales défensives. Une idée aussi bizarre que son résultat : Genesis Alpha One est une agréable surprise conceptuelle, mais c’est aussi un déprimant simulateur de travail ingrat et pénible comme seule l’école allemande de game design sait en produire.
Un véritable métier de Clone
La Terre est sur le point de devenir inhabitable, et les mega-corporations qui finissent de l’essorer d’une poigne de fer se lancent dans la conquête spatiale, dans l’idée de piller un autre monde habitable et au passage de sauver les humains qui peuvent encore l’être : dans Genesis Alpha One, on n’est pas là pour s’amuser. Vous incarnez un clone, qui ressemblera au départ nécessairement à un mauvais imitateur de Moby. On débloque heureusement rapidement d’autres physiques ingrats. Vous êtes sans mémoire ni histoire, fraîchement sorti de votre cuve à imprimer des clones à partir de biomasse recyclée (oui, ça veut dire des cadavres, des plantes pourries et du caca). Vous voici promu capitaine d’un vaisseau quasiment vide, à part pour quelques autres clones au visage taciturne. On comprend vite qu’un psychologue du travail va cruellement vous manquer.
La première tâche à effectuer, c’est de déployer les modules nécessaires pour la viabilité du vaisseau : serre, entrepôts, raffineries, dépôts, centrales électriques, quartiers pour l’équipage, etc. L’interface, assez simple, vous permet d’agencer le vaisseau un peu comme vous le souhaitez, et de vous promener physiquement à l’intérieur, ce qui constitue d’ailleurs un sentiment assez gratifiant quand on a bien agencé les pièces selon son niveau de maniaquerie.
La suite consiste à travailler à l’entretien du vaisseau : affecter du personnel à telle ou telle tâche, colmater les trous et les fuites, récolter des trucs flottant dans l’espace avec un rayon tracteur, poser des tourelles de défense un peu partout pour éviter de se faire atomiser quand les trucs en question sont vivants et agressifs, puis bouger dans un autre secteur quand tout est pillé. Profondément déprimantes, ces tâches sont tout de même assez variées, et possèdent comme point culminant la descente physique sur des planètes, seul ou accompagné de quelques amis clones prêts à gratter des cailloux dans des brouillards denses et hostiles, attaqués par des crustacés humanoïdes répugnants, éblouis par le projecteur ultra-agressif du vaisseau.
Je suis venu ici pour souffrir…. ok ?
Assez rapidement, en fait à peu près à l’instant où le tutoriel (très bien fichu) enlève les petites roues, vous mourrez. Les raisons ne manquent pas : maladie, asphyxie, massacre par un alien, truc qui explose dans une partie mal entretenue du vaisseau. De toute façon, on ne vous a pas vraiment donné les moyens de travailler correctement, alors assez rapidement, un truc vous passe en travers du crâne, et vous mourrez. Un autre clone est promu capitaine. Si vous avez collecté assez de données sur la faune locale, il aura peut-être une affreuse tête de crevette, et une meilleure résistance au feu ou aux radiations. Tant qu’à récolter du matériel génétique, hein !
Au bout d’un moment arrivera un événement qui vous mettra à court de clones. Une mission qui tourne mal, une tourelle de défense mal placée, une mauvaise gestion des ressources, et pouf, comme on dit, ça tourne mal. Voilà, vous avez perdu. C’est l’heure de recommencer, et si vous avez du bol et ramassé assez de space-cailloux et de cosmo-crabes, vous avez débloqué une nouvelle entreprise de départ, de meilleurs clones, et vous vous relancez dans l’aventure avec du seum tout neuf à revendre. C’est reparti : vous créez une serre, un rayon tracteur… Le tout en priant pour ne pas être tombé dans un secteur trop aride. Bon courage moussaillon, et bon voyage à bord du Genesis Alpha One express pour le cafard du dimanche après-midi.
Genesis Alpha One, c’est un peu vivre StarCraft à la première personne, et encore, même pas chez les Marines : juste dans la peau d’un type en train de travailler dans un vaisseau spatial pour une cause plus grande et plus abstraite que lui. Si Blue Radiation a travaillé quelque chose, c’est l’ambiance résolument malade et inconfortable de son univers. Des couleurs très froides, un design sonore hostile, des bruits de métal cogné, des cris de bête, et partout la solitude, le brouillard, la mort, et l’abnégation de personnages qui n’ont strictement rien à faire d’autre que travailler, dormir, se battre, et mourir. A côté, Alien Isolation est un rollercoaster de fun ultra fluo et coloré. Mention spéciale aux lumières blafardes, volontairement désagréables, qui achèveront dans les moments de stress d’user votre bonne humeur.
Malgré un facteur de fun quasiment négatif, on l’aime bien quand même.
A l’image de Frostpunk sorti l’an dernier, Genesis Alpha One entend créer une expérience ludique aux antipodes du fun, préférant vous plonger dans l’angoisse de la vie de colons isolés et sacrifiés pour une cause supposément plus grande. Et… A ma grande, très grande surprise au vu des trailers vraiment pas très engageants, ça fonctionne bien. Certes, il y a assez peu de barres de rire au programme, mais force est de constater que le module de construction du vaisseau présente une intéressante courbe d’apprentissage, la gestion au cordeau des ressources et de l’écosystème du vaisseau aussi, et que les différentes possibilités qui se débloquent au fil des parties sont assez gratifiantes.
Genesis Alpha One aurait cependant mérité de compenser son ambiance austère de presbytère finlandais abandonné un 14 novembre à minuit par une absence des petits défauts qui en font une expérience encore plus marginale qu’elle n’entend l’être. Ainsi, la gestion du vaisseau à la première personne (attribution des rôles de l’équipage, extraction des ressources) aurait sans doute pu bénéficier d’un peu plus de travail : l’interface est souvent confuse, et on se trompe énormément avant de parvenir à prendre les bons automatismes. Dans le même ordre d’idées, le début de partie (que vous allez devoir vous enquiller un certain nombre de fois vu la précarité de vos troupes) est passablement laborieux et répétitif. La version française, très bonne dans l’ensemble, manque cependant parfois un peu de clarté en utilisant des terminologies peu claires : le « dépôt » a par exemple une fonction tout à fait différente de la « réserve », ce qui prête à confusion. La « biosphère » et la « biomasse » sont deux indicateurs de gameplay trop différents pour avoir des noms aussi proches. Tout un tas de petits détails qui plombent légèrement l’expérience en lui ôtant de la fluidité et de l’accessibilité.
Enfin, et c’est un peu plus problématique, il faut noter que les gros efforts effectués sur le tutoriel, la mise en scène, les aides contextuelles, etc s’accompagnent aussi de gros manques, qui rendent absolument nécessaire le recours à un tâtonnement constant sur les premières heures de jeu. Les premières fois qu’un module tombe en panne, qu’un couloir se dépressurise ou qu’une centrale cesse de fonctionner, on s’arrache les cheveux faute de solutions instinctives et de directives claires distribuées en début de partie. Enfin, mais c’est peut-être inévitable pour un jeu en 3D à petit budget, la variété des environnements extraterrestres n’est pas franchement au rendez-vous, et le gameplay FPS n’étant pas vraiment le point fort du jeu, on se retrouve rapidement un poil irrité par des combats mous et injustes qui induisent une boucle de gameplay assez courte et âpre tant qu’on n’a pas assez avancé dans l’aventure. Genesis Alpha One prend le parti de l’austérité envers et contre tout, mais tout de même, un accueil un chouilla moins raide n’aurait pas été de trop.
Genesis Alpha One est une bonne surprise. Avec son gameplay étrange mélangeant construction, stratégie et FPS, et une direction artistique dépouillée et déprimante, il parvient bien à recréer l’ambiance sinistre de colons sans âmes isolés dans un espace infini et hostile. Complet et intéressant, il souffre tout de même des limites de son austérité, et vous perdra rapidement en route si vous n’êtes pas absolument fanatique de jeu de gestion à l’enrobage minimaliste et anxiogène. Ou que vous cherchez un bon FPS.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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