Dernière création de Red Thread Games, studio indé derrière Dreamfall Chapters, Draugen se présente comme une aventure prenante, proposant une enquête étrange, imprégnée par une ambiance norvégienne mystique et envoûtante.
Charmé par un trailer mystérieux, il ne m’en fallait pas plus pour être convaincu, et faire l’acquisition de ce jeu, sorti le 29 mai dernier. Pas du tout familier des précédentes créations du studio indépendant norvégien, leur boulot sur Draugen force en tout cas le respect. Mais avec le foisonnement des expériences narratives, ont-ils trouvé les arguments pour sortir du lot ? Eh bien la réponse tout de suite avec cette critique !
Draugen : carte postale
L’intrigue du jeu nous entraîne en 1923, au cœur de Graavik, petit village norvégien coincé dans les fjords. Le motif de ce voyage ? Le protagoniste, Edward Charles Harden, est à la recherche de sa sœur Elisabeth (Betty), et tout porte à croire que c’est ici qu’elle a disparu. Pour la retrouver, il est venu accompagné par Alice (Lissie), une jeune femme dynamique et enjouée.
L’intrigue débute avec un petit dialogue en bateau alors que les deux personnages se rapprochent doucement du rivage. On débarque, on regarde un peu les alentours, on écoute Edward et Alice discuter rapidement, le gameplay limité se dévoile. Impossible de sauter, d’effectuer une quelconque action sans qu’on nous y invite au préalable. On est loin d’un A Plague Tale, ici, c’est de l’expérience narrative classique.
Et justement, comme souvent dans ces jeux, l’aspect visuel a été bien bossé. L’ambiance qui ressortait du trailer de Draugen, assez mélancolique avec un brin de mystère, est bien rendue. C’est vraiment ce qui saute aux yeux en arrivant. Alors oui, présenter un petit village paumé dans les fjords, ça aide à offrir un cadre rêveur. Mais il faut admettre que c’est un sentiment qui ne nous quitte pas tout au long du jeu : c’est beau.
Toutefois, si les décors en jettent, avec ces paysages inspirants qui appellent au voyage et à l’aventure, on est très vite frustré de constater la linéarité des déplacements. Je comprends bien que monde ouvert et expérience narrative se couplent assez mal, mais les chemins bloqués de façon clairement artificielle laissent trop transparaître un avancement ultra-scripté.
C’est particulièrement visible lorsque l’on tente d’entrer dans l’église. Au départ une note indique que l’entrée est condamnée et le tout est barré avec des planches assez fines. Aucune autre interaction que celle de lire la note. On repart de là donc. Mais un peu plus tard, un événement nous amène à y retourner et subitement Edward peut arracher les planches. De quoi ruiner un peu l’effet de découverte.
Faux semblants
Passé l’agacement de ne pas pouvoir errer tel un explorateur dans ces territoires presque sauvages, reste l’intrigue de Draugen. La quête qui amène Edward et Alice à Graavik c’est la recherche d’Elisabeth ou « Bettyyyy » comme notre personnage aimera le répéter de 120 manières différentes. Tout comme il est possible de lui faire hurler des « Lissiiiie » afin de localiser notre coéquipière quand elle s’éloigne un peu (je vous promets qu’on est pas loin du fameux « press X to Jason »).
Mais la famille qui devait nous accueillir dans sa belle demeure authentique n’est pas là, à l’instar de tout le village. Le destin de Betty est-il lié à celui des habitants de ce lieu pittoresque devenu bien trop calme ? C’est en tout cas ce qui va véritablement lancer l’intrigue.
La recherche de Betty devient le fil rouge. Au travers de vêtements qu’elle aurait laissé à différents endroits tels des « miettes de pains ». Edward est donc persuadé que sa sœur est ici, quelque part, et qu’en découvrant ce qu’il est advenu de toute la population de Graavik, il pourra la retrouver. Le paisible passe à l’étrange, et cette double quête prend rapidement un ton bien moins bucolique.
Car peu à peu, des éléments apparaissent : un accident dans une mine, un conflit familial et des morts mystérieuses. L’enquête avance, mais le mystère continue de s’épaissir. Et même si Edward découvre de nouveaux indices capables de le mener à Betty, elle reste toujours autant introuvable.
Pourtant, il ne faut s’attendre ni à une angoisse oppressante, ni à des jumpscares incessants. Plus l’histoire avance, plus l’aura fantastique s’estompe, et se mue finalement en drame très… humain. Lever le voile sur les événements entourant la disparation du village aura alors tout de la quête identitaire pour Edward. L’écriture de cette dualité entre intrigue principale et focalisation sur la personnalité du personnage principal est intelligente. Mais hélas pas mal plombée par un souci de rythme.
En quête de rythme
Evidemment, quand je dis rythme, ce n’est pas dans un sens musical. Surtout qu’ici, l’ambiance sonore est un des points forts de Draugen. Que ce soit le rendu des sons de l’environnement, celui des dialogues ou tout simplement la musique, tout est parfaitement maîtrisé. Pays nordique oblige, les instruments à cordes sont souvent de la partie. Parfois d’ailleurs accompagnés de notes de piano, sans que cela ne soit jamais trop invasif.
Le rythme auquel je fais référence, c’est celui de l’intrigue. Et c’est là que se trouve le cœur du problème. L’avancement est découpé en journées : si certaines sont bien remplies avec de nombreuses découvertes, d’autres semblent volontairement expéditives. On a parfois la sensation que l’intensité va croître, mais tout retombe.
Et c’est pour moi la conséquence de l’absence d’un vrai aspect d’enquête. On suit un chemin tracé de façon presque robotique. La découverte d’indices étant quasiment offerte par l’apparition de points d’interaction sur les lettres ou objets nécessaires. Au point que cela vire au rébarbatif sur certaines journées. Il manque quelque chose pour véritablement nous agripper à l’histoire.
Enfin, l’évolution de la relation entre Edward et Alice subit directement ces soucis de rythme. J’aurais vraiment aimé un travail plus approfondi sur leur relation dès le début du jeu. Quitte à ralentir le vrai démarrage de celui-ci. Surtout qu’Edward apparaît vite comme tourmenté et « instable », ce qui joue sur sa relation avec Lissie. Et, si on est un minimum attentif, on devinera vite un des « plot twists » qui pourtant ne se confirmera que bien plus tard. Sans que cela n’affecte l’appréciation de la fin du jeu, heureusement.
Je ne cache pas une certaine déception après avoir terminé Draugen. J’en attendais sûrement trop. La faute peut-être aussi à un environnement qui appelait à davantage de liberté d’action. Mais cela reste un jeu de qualité. Il profite notamment de son intrigue, finalement très nordique : mystérieuse, voir mystique par moments, entre mélancolie et inquiétude, et avec la nature humaine comme toile de fond. Ses points forts lui permettent en tout cas de sortir de la mêlée des innombrables expériences narratives. Une suite ne serait pas surprenante. C’est en tout cas ce que laisse à penser un petit message final.
Veltar
Joueur de jeux vidéo qui aime la politique. Du coup j'écris surtout des trucs qui parlent des deux. Stratégie, Outer Wilds, Metal Gear Solid et indés en pixel art.
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