Héritier du sous-genre du RPG sportif, Dodgeball Academia se pose en fanfaron énergique et rassembleur. Quelques tirs loupés ne suffisent pas à déstabiliser sa bonne humeur communicative.
Les années 2010 ont vu grossir de manière considérable la part de projets développés par des créateurs, créatrices et studios indépendants. L’occasion de prendre la tangente vers des horizons plus variés, plus bizarres, plus personnels, et de mettre en valeur la patte de quelques-uns, individuellement ou en groupe. Mais cette ouverture exceptionnelle, dont on mesure chaque jour les effets concrets, a également permis de constater la reconnaissance mutuelle de références culturelles communes, entre studios et joueurs vivant sur des continents différents. Des références dont un studio va s’emparer et ainsi tendre des perches à celles et ceux qui s’y reconnaitront. Pas besoin de venir d’un même endroit pour se comprendre, les sensibilités s’expriment par certains repères, qu’ils soient littéraires, vidéoludiques, sportifs… En ça, le jeu vidéo peut être considéré comme vecteur de liens, sans en avoir l’air, sorte de plaque tournante d’une culture mondialisée. Développé par Pocket Trap, studio basé à São Paulo, Dodgeball Academia parait être un bon exemple de ce phénomène encourageant le brassage. Et ce autant dans le lore qu’il met en place que par les choix éditoriaux qu’on doit certainement à son éditeur, Humble Games.
Nino : 0 – Otto : 10
Le jeune Otto, soumis aux tensions qu’implique le maintien de l’héritage familial, reçoit un jour une lettre. Il va pouvoir intégrer l’académie de Dodgeball, la balle aux prisonniers portée à un degré professionnel, sport qui fait tourner les têtes dans ce monde où le basket n’existe pas. L’école a la prestigieuse mission de former les meilleurs joueurs et joueuses de Dodgeball, une renommée éducative assise par la possession de la Dodgeball du Héros. L’artefact, une balle logée dans un rocher et qui ne cesse de tourner, fournit l’établissement entier en énergie, mais a également le pouvoir d’éveiller le potentiel de celles et ceux qui la touchent. Pour la conserver, l’académie doit cependant prouver que ses professeurs forment les meilleurs éléments. Un tournoi interne est donc organisé afin de déterminer si les élèves sont assez bons pour participer à la compétition internationale qui se profile.
Un jeune héros plein de fougue, une école, des camarades et professeurs hauts en couleur, un tournoi… Il faut peu de temps pour remarquer que Pocket Trap a choisi de s’engouffrer à 300 km/h en Naruto run sur la voie du shonen. Une affiliation revendiquée haut et fort et qui infuse Dodgeball Academia jusque dans sa structure. L’aventure est découpée en journées, désignées comme des « épisodes », et chacune d’elles se concentre sur une intrigue propre avec, en fil rouge, les différentes phases du tournoi. Du rassemblement d’une équipe autour d’Otto, on va vite basculer dans une succession de péripéties qui, partant de situations banales (une lettre d’amour, les travaux pratiques d’un cours), dérivent vers l’inattendu. Mention, notamment, à l’opposition sciences/pseudosciences, qui voit la formation d’une communauté de « carréistes » parmi les élèves, réunis au sous-sol de la bibliothèque. Si, parmi les huit épisodes, certains marquent moins que d’autres, la faute aux nombreux allers-retours et à une volonté de ne pas laisser trop de temps morts sans combats, l’ambiance générale pleine d’allant suffit à motiver l’avancée. Et malgré une tendance à rester sur les terrains balisés du genre, le titre peut compter sur sa chouette galerie de personnages, principaux comme secondaires, qui tous auront droit à leur petit moment de gloire. Tout juste regrette-t-on la légèreté de traitement auquel a droit un de nos coéquipiers, catapulté dans l’équipe sans que sa présence ne soit suffisamment introduite ou n’ait d’impact. Avec une quinzaine de personnalités fortes sur les planches, quelques écarts étaient inévitables.
Prisonniers ball-itiques
Si Dodgeball Academia s’inspire du rythme et des enjeux du shonen, il s’inscrit également dans la lignée du sous-genre de RPG de sport et Henrique Alonso, co-fondateur de Pocket Trap, cite sans détour l’influence de Mario Tennis : Power Tour (2005) et Mario Golf : Advance Tour (2004), deux productions Camelot pour la GBA. Le dodgeball lui-même n’en est pas à sa première adaptation en jeu vidéo, et si le hasard (?) a vu sortir deux titres consacrés à la discipline cette année (Knockout City, le « free-to-play au démarrage » d’Electronic Arts), Super Dodge Ball proposait dès 1987 de s’avoiner à coups de ballon sur bornes d’arcade. À la différence d’un jeu comme Super Dodgeball Beats, qui réinterprétait le sport par le prisme du jeu de rythme, Dodgeball Academia fait le choix du match en temps réel, afin de garder toute la tension des échanges de balles.
Tout le monde ou presque a déjà joué à la balle aux prisonniers mais un rappel ne fait pas de mal : le but est de ramasser les ballons sur notre partie du terrain et les balancer avec force sur l’équipe adverse pour en éliminer les membres. Ici, RPG oblige, ces derniers ont une barre de vie à faire descendre à zéro et, selon les matchs, les sortants quittent le terrain ou passent dans notre dos, en prison, où ils resteront jusqu’à la fin de la rencontre, à essayer de prendre leurs adversaires en traître. Après les premiers matchs d’introduction, on est heureux de constater que Pocket Trap a trouvé un équilibre dynamique entre la lisibilité et le bordel ambiant propre au sport. Comme en vrai, les balles, dont le nombre varie entre une et six, peuvent surgir vite et de n’importe où, et finir un match sans avoir pris un seul coup tient de l’exception. Surtout qu’une touche immobilise un instant la cible atteinte, et mieux vaut ne pas avoir laissé la majorité des ballons à l’adversaire sous peine de se voir envoyer en prison en moins de deux. Pour éviter les tirs, sauter ou dasher, selon le personnage choisi, sera bien utile, comme la possibilité commune à tous d’attraper la balle, avec le bon timing. Comme on contrôle un personnage en particulier et, indirectement, nos deux coéquipiers, notre sens de la réaction est parfois mis à rude épreuve. Mais l’énergie qui ressort des matchs est délectable, et c’est à un rythme régulier qu’on sourit devant le joyeux capharnaüm à l’œuvre.
Mina s’irrite
Les membres de notre petite équipe, dont le nombre ira jusqu’à six, ont des aptitudes différentes avec lesquelles il faudra jongler selon la situation ou notre préférence. Le temps d’une charge, l’une augmentera la vitesse de tout le monde sur le terrain quand l’autre soignera les copains. Avec la montée de niveaux, les tirs se verront octroyer des effets (le feu qui grignote les PV, une direction plus difficile à anticiper) et ce ne sera pas un mal, les adversaires disposant des mêmes possibilités. Chaque membre de l’équipe dispose également de son coup spécial, l’occasion de décimer l’équipe adverse à coup de hadoken ou de la piéger dans une tornade, à la merci de nos tirs. C’est notamment lors de ces super techniques qu’on apprécie le style flamboyant des animations de Dodgeball Academia, dû au talent d’Ivan Freire, ainsi que le soin apporté aux effets d’interface.
Si l’action en match est gérée avec brio, les mécaniques de RPG se font, elles, plus discrètes. La montée de niveaux, qui arrive tous les quatre ou cinq matchs, permet de débloquer des améliorations passives fixes à des niveaux donnés, mais ces compétences servent moins un intérêt stratégique qu’une accumulation progressive de puissance. Et les équipements, deux à équiper par personnage, ne permettent pas de constituer de builds à proprement parler mais se limitent à un petit boost bienvenu des capacités. Il faut ainsi compter sur les différentes variations de terrains (hautes herbes qui cachent la vue, verglas…) ou de balles (empoisonnées, électrifiées…) pour que la progression générale soit un peu chahutée, elle qui trouve son rythme ronronnant assez vite. On peut tout de même compter sur une poignée de quêtes secondaires et activités annexes pour varier les plaisirs, sans que celles-ci n’apportent grand-chose, ainsi que sur la présence d’un mode versus, ajout toujours sympathique qui permettra de tester des personnages inédits au mode aventure.
Pour 100 balles, t’as plus rien (sauf des bleus)
Le jeu de Pocket Trap se distingue néanmoins grâce à la philosophie d’inclusivité qu’il adopte. Au sein de sa narration, par la présence anodine de PNJ gays et lesbiens ou la représentation tout aussi transparente de toilettes répondant aux normes PMR (ça semble bête, mais c’est assez rare pour être noté), mais également dans ses paramètres d’accessibilité. Jamais particulièrement ardue, la progression peut être personnalisée en réduisant le taux de dégâts, et ce jusqu’à l’invincibilité si nécessaire. Une souplesse bienvenue ne laissant aucune des mécaniques de gameplay de côté, et qui permet au plus grand nombre de moduler au mieux son expérience des matchs. L’habitude semble se prendre sur des productions de tous bords, et on ne peut qu’en être satisfait.
Mais là où Dodgeball Academia surprend sur ce terrain, c’est en laissant le choix d’activer ou non une option bilingue entre chacune des huit langues pour laquelle une traduction a été faite. D’une simple manipulation et sans aller dans les paramètres, les menus passent dans la seconde langue choisie et des sous-titres accompagnent les dialogues. Mieux, il est possible de jongler d’une langue à une autre à la volée. Dans les faits, l’option ne servira peut-être qu’à une part réduite de celles et ceux qui lanceront le jeu. Mais on peut voir dans cette facilité d’exécution un idéal d’accessibilité, comme si le studio, ou plus probablement Humble Games, son éditeur, avait voulu pousser un cran plus loin les possibles échanges entre communautés. Il s’agit maintenant de constater la qualité des traductions proposées, et on a cru comprendre que certaines, dont celle en japonais, ne sont pas exemptes d’erreurs. En ce qui concerne le français, on a pu remarquer quelques approximations parfois trop littérales et un ton général qui dénote régulièrement avec le parler qu’on pourrait attribuer à des enfants. On ne saurait dire qui de la traduction ou du script est à l’origine de ce décalage mais, même si ça ne suffit pas à nous sortir du jeu, on aurait préféré que la démarche soit menée jusqu’au bout. Cela étant, la présence de cette option reste un exemple dont pourront s’inspirer les autres éditeurs.
Dodgeball Academia a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Il est également disponible sur Switch, consoles PlayStation et Xbox.
Lorsqu’on est gamin, il arrive régulièrement qu’on prenne des ballons dans la tête. C’est pas très agréable et ça laisse des marques. Celles laissées par Dodgeball Academia s’estompent peut-être un peu vite, la faute à une aventure qui se laisse rapidement porter sur le chemin balisé du shonen et des mécaniques de RPG assez peu poussées, mais elles ont le mérite de chercher le beau jeu et sont de celles qui s’affichent avec orgueil. À la croisée des chemins d’une culture globalisée, le titre de Pocket Trap célèbre ses références et invite toutes celles et ceux qui s’y reconnaissent sur le terrain, options d’accessibilité et d’échange dans sa besace. Les améliorations envisageables sont en tout cas à la portée d’une potentielle suite, qui se laisse deviner et qu’on serait contents de voir arriver.
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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