Petit développeur spécialisé dans les expériences nerveuses inspirées de l’arcade, Milkbar Lads signe avec Dead Estate la version complète d’un jeu initialement pensé pour les navigateurs. Facile à résumer : il y est question de rentrer dans un manoir plein de monstres et de tout dégommer, sur fond de pixel art, de film de série Z, et… d’une vue en 3D isométrique venue du fond des âges.
Autant prévenir : l’autre particularité de Dead Estate est son mauvais goût esthétique global et assumé, quelque part entre les films de la Hammer, un décorum 100% redneck et quelque chose que je qualifierai de rencontre non désirée entre du hentaï redessiné par des occidentaux et des VHS porno des années 1980. Avec ses PNJ pin-ups huileuses, ses sorcières à grosses loches (moi aussi je peux être vulgos) et ses personnages de punkettes destroy et de camionneurs bedonnants, Dead Estate ferait passer une novelisation de Duke Nukem pour un candidat potentiel au Goncourt. Et vous voulez que je vous dise ? Je peux tout à fait accepter que les marchandes d’objets dans mon jeu vidéo soient des poupées siliconées dans des costumes cochons de sorcière achetés vraiment pas assez cher sur un site de vente en ligne chinois. Après tout, le droit au mauvais goût, ça se défend, particulièrement dans quelque chose inspiré des nanars direct-to-DVD à 1€. En revanche, quand tout le reste de l’expérience consiste à vider en boucle des chargeurs sur des sacs à PV avec une visibilité minimale due à un angle de caméra pété et une physique hasardeuse, l’affaire se complique.
Pan Pan Blam Blam Beuargh
J’ai vu des bastons de bar en fin de soirée plus épaisses que le propos général de Dead Estate : vous choisissez un personnage (deux seulement sont disponibles au départ mais les autres se débloquent relativement vite). Il ou elle est armé·e d’une pétoire et de l’envie d’en découdre, et c’est parti pour escalader une tour infernale à plusieurs étages. Chaque niveau est divisé en salles de trois types : celles où des machins essayent de vous tuer, celles où des machins essayent de vous tuer mais après vous récupérez un trésor, celles où vous pouvez acheter des trucs à des pin-ups (armes, sortilèges, objets, capacités spéciales). Si vous trainez trop longtemps dans un étage, ce qui est somme toute assez rare, un gros machin de Frankenstein se met à vous traquer et, à la manière d’un Mister X dans Resident Evil, vous décolle bien vite la tête des épaules.
S’il faut chanter les louanges de quelque chose dans Dead Estate, c’est bien au niveau de cette simplicité qu’il faudra chercher. S’il y a bien quelques idées qui nécessitent un poil d’attention, comme les synergies entre les bonus ou quelques subtilités de gameplay dans les personnages débloqués au fil des parties, le plaisir de jouer à quelque chose de totalement compréhensible en moins d’une minute est assez rare pour être souligné. Surtout dans un marché où les roguelike ont tendance à faire dans la surenchère de règles et de subtilités pas forcément faciles d’accès.
On aimerait cependant que cette simplicité soit mise au service de quelque chose qui ne soit pas à chaque run un exercice absolument fastidieux, plombé par trois défauts majeurs : d’une part, Dead Estate est illisible. D’autre part, le rythme est extrêmement étrange à cause du mauvais calibrage de la vie des ennemis. Et enfin, le challenge disparait assez rapidement dès qu’on a compris ce qu’il faut faire pour remporter la mise.
Si ça saigne tu peux le tuer (mais pas vite)
Parlons d’abord du problème principal : l’angle de caméra bizarroïde choisi n’est pas sans évoquer l’atrocement difficile Solstice de mon enfance sur NES. Une référence que je prends à dessein, tant Solstice et sa suite, Equinox, sont des jeux qui ont à leur époque parfaitement illustré à quel point la vue dite « en 3D iso » a tendance à transformer toute tentative de précision, de visée ou de plateforme en séquence grotesque et injouable. Et pas de bol, Dead Estate demande à la fois de tirer, de sauter, d’esquiver des projectiles et, dans les étages supérieurs, de se hisser sur certaines structures pour atteindre des ennemis volants ou suspendus. Cela ne fonctionne quasiment jamais. Si le cerveau finit par s’adapter à la physique bizarre des projectiles, on continue de tirer dans le vide une bonne partie du temps, de patiner en essayant d’escalader des pots et de se heurter à des ennemis que l’on croyait éloignés d’un bon mètre. Et dès que l’écran est saturé de balles (ou de sang ou de vomi…), le chaos se transforme en bouillie : c’est complètement illisible.
Second problème majeur : même si la difficulté est (un peu) modulable, il n’y a rien à faire, dans Dead Estate, absolument tout est un sac à PV. Simples zombies, créatures de laboratoire, spectres ou simple pots contenant de l’argent, tout met hyper longtemps à mourir, se briser ou exploser. Y compris quand cela n’a aucun intérêt, tant certains ennemis de base ne sont vraiment que des sacs à viande pas très dangereux. En résulte des confrontations assez molles où, pour peu qu’on ait attrapé une arme correcte et qu’on se tienne assez à distance du danger, on se retrouve parfois pendant trente ou quarante secondes à arroser de plomb le même nuisant en attendant de passer à la suite (particulièrement contre les combats de boss ponctuant la fin de chaque niveau). Le fait que même les pots, essentiels à l’économie du jeu et nombreux à dézinguer dans chaque salle, soient eux aussi trop solides vous conduira à passer trop de temps à tirer sur des natures mortes pour ramasser trois pièces d’or. Alors que Dead Estate aurait été exactement le même si les pots n’avaient eu qu’un seul point de vie, comme c’est le cas dans la plupart des roguelike avec un système monétaire.
Enfin, si l’on arrive à passer outre ces deux premiers points noirs, on découvre finalement que Dead Estate, c’est aussi un jeu faussement difficile. Si dans les premières tentatives on se fait rouler dessus en boucle, il faut moins de deux heures pour découvrir des techniques quasi imparables vous transformant en brute invincible, tant certaines armes et bonus permanents omniprésents dans les niveaux peuvent complètement déséquilibrer le jeu en votre faveur une fois que vous avez compris le truc. Typiquement : acheter tous les bonus de santé pour un personnage, lui dénicher la capacité à faire rebondir les balles et ratisser soigneusement les salles pour accumuler de l’or peut vous transformer assez rapidement en machine de mort invincible capable d’éponger tous les dommages subis en achetant à prix relativement modeste de l’ambroisie qui remet votre santé au maximum. C’est dans ces runs-là qu’on se rend compte que même ainsi, on met une bonne demi-heure à atteindre le sommet du fameux Dead Estate. C’est long.
Dead Estate a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur.
Le mauvais goût, on passe. Le côté déjà-vu, on passe aussi. Mais prétendre proposer une expérience « gore, au rythme effréné et pleine de challenge » (ce n’est pas moi qui le dit) quand le résultat est surtout « cartoon, assez mou et finalement pas si compliqué que ça », voilà qui frise la malhonnêteté. Pas complètement indigne, amusant pendant quelques runs, Dead Estate aurait quand même gagné à mieux travailler son rythme, sa courbe de difficulté et tout simplement son feeling qui, manette en main, frustre plus qu’il ne divertit. Une expérience vraiment oubliable.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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