Crying Suns était le parfait candidat pour Kickstarter. Un roguelite spatial qui tire ses inspirations de l’acclamé FTL pour le principe du gameplay et qui cite Dune et Fondation pour le côté narratif, tout ça illustré par un pixel art de bon goût, que demander de plus ? Il fut d’ailleurs un hit, récoltant presque le triple de la somme demandée de base. Un peu plus d’un an après le lancement de leur financement participatif, les Montpelliérains d’Alt Shift ont livré leur copie et parfois, il est mieux de ne pas clamer trop fort ses inspirations…
Petit point sur mes conditions de jeux : j’ai joué quelques heures en moyen pour tester le côté roguelite avant de switcher en facile, le « mode histoire » du jeu, afin de finir le scénario, ce qui se fait en une traite dans cette difficulté. Et aussi, attention, la suite de l’article contient des spoilers, très gros spoilers.
De la bonne dose d’inspiration
J’ai essayé de trouver une définition précise d’inspiration. Tout au plus, on m’indique qu’il s’agit « d’une influence exercée sur un auteur, sur une oeuvre » mais il manque à chaque fois une mesure précise pour savoir à quel moment, c’est trop. Car c’est la question principale que je me suis posée en jouant à Crying Suns. Peut-être sommes-nous plus dans l’hommage, plus permissif ? Mais surtout, il y a toujours un biais quand on nous parle d’inspiration, on a tendance, consciemment ou non, à attendre quelque chose à la hauteur des oeuvres auxquelles le jeu fait référence. Et en choisissant deux grands classiques de la science-fiction, Dune et Fondation, Alt Shift a pris un très gros risque. Encore plus en y faisant référence constamment tout au long du scénario.
Commençons par le plus évident, le plus on-the-nose : notre personnage principal s’appelle Idaho. Oui, comme l’Idaho de Dune. Mais ça ne s’arrête pas là. Il est le clone (comme Duncan Idaho par la suite, qui est un « ghola ») d’un grand amiral mort, qui n’a cependant pas ses souvenirs ni sa personnalité (comme les gholas donc), mais qui finira par les retrouver (comme… enfin vous avez compris). Mais attendez, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Il faut bien sûr comprendre que ces clones sont créés par un empereur tyrannique, du nom d’Obéron (nom que l’on retrouve dans l’univers non-canon de Dune mais surtout, très fortement inspiré de Leto II qui crée aussi des clones d’Idaho, mais on ne pouvait pas non plus lui donner ce nom), qui a tendance à trouver un moyen de se débarrasser d’eux quand les Idaho retrouvent leurs souvenirs et cherchent à se rebeller contre lui (ce que fait Leto II), tout en étant satisfait du fait que plusieurs d’entre eux soient créés pour finir par avoir une souche d’Idaho parfait (ai-je encore besoin de le préciser à ce point-là ?). L’une des fins, que vous choisissez vous-même sans que vos actions n’aient de conséquences directes, vous met d’ailleurs dans la peau d’un Leto II, tyrannique pour la survie de l’humanité. D’autres références sont plus discrètes, comme le fait qu’il y a de grandes maisons ennemies mais étant quelque chose d’assez classique, je ne vais pas leur en tenir rigueur.
Quant au côté inspiré par Fondation, il se fait plus insaisissable alors même qu’il est celui le plus mis en avant. Disons que comme dans toute oeuvre où il y a des robots, l’influence d’Asimov est immense, tant ses trois lois de la robotique sont une base extrêmement solide. Alors oui, y a des robots, ils ont un Rubycon qui les empêche de faire certaines choses, bon. N’ayant personnellement rien de mieux à proposer de ce côté-là, je n’en veux à personne de reprendre ces principes. En creusant un peu plus et en faisant preuve de plus de mauvaise foi que lorsque je parlais des références à Dune, on peut vaguement se dire que la fin où les robots ont transcendé leurs interdictions et se sont réunis en une seule entité peut rappeler Gaïa et sa fondation par R. Daneel Olivaw, ainsi que le fait que l’amiral Idaho doit décider de l’avenir de l’humanité et que parmi ses options, il y a celle de choisir d’aller chercher si la Terre existe bien, le souvenir de celle-ci ayant été effacé de la mémoire collective, ce qu’on retrouve dans les suites les moins inspirées de Fondation.
Me voilà donc maintenant face à un dilemme : est-ce bien sérieux de faire une critique d’un scénario d’un jeu qui n’est pas une adaptation officielle, quand celui-ci a autant de ressemblance avec des oeuvres déjà existantes et très peu de valeur ajoutée ? Car passé ce listing scolaire, il y a peu de choses à dire : l’humanité va mal, la perte des robots conduit l’humanité à l’extinction car celle-ci a oublié comment vivre sans eux notamment pour l’agriculture, ce qui est le cas des planètes spaciennes d’Asimov mais c’est un thème récurrent dans plusieurs sortes de littérature, les ressources sont rares et il reste à peine une dizaine d’années à tous les humains. Votre amiral cloné parcourt donc l’espace avec son équipage cloné aussi et essaie de comprendre pourquoi les robots se sont éteints. Et pourtant, malgré toutes ces inspirations de grandes oeuvres de la SF, on ressort un peu blasé de cette histoire.
Du fait de se définir
Mais il n’y a pas que l’histoire qui fait un jeu vidéo, en général en tout cas, alors parlons gameplay. Ici, Alt Shift définit leur jeu comme un roguelite inspiré de FTL. Sur le côté FTL, on a tendance à leur donner raison au début. Vous avez un vaisseau, un équipage, vous voyagez de zone en zone tout en étant poursuivi par des vaisseaux ennemis qui vous empêchent de trop vous disperser en visitant un peu tout et n’importe quoi et un boss vous attend à la fin de chaque zone. Mais à part ça, ce sont deux jeux très différents. Crying Suns est un véritable jeu de stratégie, où chaque combat se déroule sur une grille. Le but est simple, détruire le vaisseau amiral ennemi. Pour cela, vous avez à votre disposition quatre types d’escadrons, drones, chasseurs, frégates et croiseurs, ainsi que des armes qui agiront soit sur les escadrons ennemis, soit directement sur le vaisseau amiral. Chaque escadron a ses points faibles et il s’agira de choisir sa stratégie de combat en fonction. Outre les accrochages avec les ennemis, il y a également un système d’expéditions sur les planètes. Avant d’envoyer une équipe, vous pouvez scanner la planète, ce qui vous donnera des estimations plus ou moins exactes sur les chances que vous avez de perdre des hommes et de récupérer des ressources. Le reste, ce sont les dés qui le décident. Rien de très excitant donc surtout que les hommes étant la ressource la moins chère du jeu, on est très tentés à la fin d’une zone où on a besoin d’améliorations de sacrifier une bonne dizaine d’hommes si besoin pour un peu de ferraille, la monnaie du jeu, supplémentaire.
Mais évidemment, il y a un mais. Il était osé de faire un roguelite avec une telle composante narrative. Le problème vient de là, quand la seule motivation pour avancer vient de l’histoire. Les combats, aussi sympas soient-ils au début, commencent à devenir très longs vers la fin du jeu, d’autant plus que la variété n’est pas vraiment au rendez-vous, notamment au niveau des armes. Le titre vous fait également perdre toutes vos améliorations et officiers à chaque nouveau chapitre, finir un chapitre vous débloquera juste un nouveau vaisseau amiral qui n’aura que des différences minimes avec l’ancien, à l’exception d’un qui centre le combat sur une utilisation un peu « kamikaze » des escadrons plutôt que sur un équilibre entre armes/escadrons. Il n’y a donc pas vraiment de sentiment de progression et à chaque nouvelle zone, vous recommencez le même schéma : être à poil, gagner un peu de ferraille et de combats pour récupérer des armes et escadrons et améliorer les mêmes choses sur votre vaisseau. Les événements aléatoires qui parsèment votre voyage se répètent beaucoup trop souvent pour n’être plus qu’une nuisance au bout d’un moment.
Etait-ce donc vraiment une bonne idée de se définir comme un roguelite, alors même que la rejouabilité n’est pas vraiment au rendez-vous, la faute à une progression inexistante et à des combats longs ? Crying Suns n’est pas un mauvais jeu, loin de là. J’ai apprécié les heures passées dessus, même si je commençais à trépigner d’impatience vers les derniers chapitres, mais je n’y retournerai pas maintenant que j’ai fini l’histoire. Mais il y a un vrai problème d’équilibre. En facile, on fait tout d’une traite, on finit l’histoire et on a le temps de se rendre compte que le titre se répète vite et l’envie de recommencer en moyen n’est pas vraiment présente. En moyen, on tiendra peut-être quelques heures de plus vu qu’on aura tendance à mourir plus souvent mais je ne garantis pas que connaître la suite de l’histoire soit une motivation suffisante pour y verser des heures et des heures.
Pourtant, les roguelites narratifs existent. Prenons par exemple Hades de Supergiant Games. Il y a une histoire certes mais elle n’est que légèrement conditionnée sur votre avancée, vous aurez tout de même de nouveaux événements dans la maison d’Hades, là d’où vous repartez à chaque fois, en n’avançant pas très loin. Et surtout, le gameplay vous donne envie d’y retourner. Relancer une partie est rapide, le gameplay est dynamique, les améliorations et salles aléatoires vous garantissent une expérience assez différente à chaque fois et surtout, il y a une progression permanente. Vous êtes super nul ? Vous avez la possibilité de grinder afin de débloquer plus de vie, de nouvelles armes, des améliorations différentes etc. C’est ça aussi le roguelite : c’est dur, c’est punitif mais les améliorations vous donnent toujours la possibilité d’aller un peu plus loin à un moment et le style de jeu est généralement assez dynamique pour pouvoir lancer une partie vite fait et ne pas finir déprimé quand on échoue. Là réside mon problème avec Crying Suns : c’est un jeu correct mais un mauvais roguelite. C’est comme si en voulant tout faire, ils avaient tout fait à moitié. Le côté roguelite pour la répétition mais pas pour la progression et le côté narratif pour une histoire qui au final, n’est pas si folle que ça. Rarement un jeu m’aura laissée aussi confuse sur ses intentions.
Crying Suns a été testé sur PC, via une clé fournie par l’éditeur.
Que dire de Crying Suns ? C’est un cas complexe. Ce n’est pas un mauvais jeu mais ce n’est pas non plus un jeu qui délivre ce qu’il promet. C’est toujours le piège dans le fait de se définir, avec des inspirations aussi fortes. Si on le prend comme un jeu narratif avec des composantes stratégiques et qu’on le fait d’une traite, on peut pardonner ses défauts. Mais si on l’achète en espérant un roguelite dans lequel engloutir des heures et des heures à la manière d’un FTL, c’est un raté. Je n’ai jamais autant hésité pour savoir si je pouvais recommander un jeu ou pas. Et je n’ai toujours pas de réponse définitive pour vous. Pour joueurs avertis donc.
Fanny Dufour
Rédactrice le jour et rédactrice en chef la nuit. J'aime qu'on me raconte des histoires, mais seulement dans les jeux.
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