Si on m’avait dit qu’un jour, un des jeux les plus poétiques, contemplatifs et beaux auxquels j’ai pu jouer ces dernières années serait une production Devolver Digital, j’aurais pouffé doucement en disant à la personne en face de moi qu’elle me charriait. Je n’ai rien contre Devolver, au contraire, mais il faut avouer que l’éditeur américain nous avait plutôt habitué aux titres en pixel art plein d’explosions, de sang et de fun décomplexé. Et pourtant, l’éditeur a eu le nez fin cette fois-ci en nous produisant GRIS, premier essai du jeune studio espagnol Nomada. Une aventure à couper le souffle par bien des aspects sur PC et Switch.
Du piano, un chant féminin d’une justesse parfaite, une jeune femme aux cheveux bleus dans la main d’une statue géante. Les 10 premières secondes de GRIS nous posent déjà les bases de ce que sera l’aventure : une expérience sublime, lyrique et à décoller la rétine. Mais les débuts chatoyants laissent vite place à la grisaille. Notre héroïne sans nom perd sa voix, la statue s’effondre, la laissant tomber dans le vide jusqu’à ce qu’elle s’écrase dans un monde gris. Elle se relève et tente tant bien que mal d’enchaîner trois pas sans trébucher, dans ce monde qu’elle semble ne pas connaître. Au fil des heures, les couleurs reviendront, notre personnage sera plus vivace et les paysages rencontrés nous laisseront une marque durable en tête.
Réfléchir la beauté
Vous l’avez sûrement déjà compris à la manière subtile dont je m’exprime, GRIS est un sacré bijou. Et je ne saurais même pas par quel point commencer pour vous le faire comprendre, tout en en disant le moins possible pour vous laisser le plaisir de la découverte. Tout d’abord, si GRIS a une histoire à nous montrer (le jeu étant sans dialogues), celle-ci reste ouverte à l’interprétation des joueurs. On le comprend en jouant mais aussi en lisant les quelques tweets du directeur créatif du jeu Conrad Roset, qui nous dit clairement que laisser le flou sur l’histoire est une volonté du studio. Est-ce donc utile de vous partager mon interprétation ? Je ne pense pas, déjà parce qu’elle reste très subjective (même si, après discussion avec quelques petits camarades de The Pixel Post, nous avons eu à peu près la même) et parce que cela reviendrait à vous spoiler éhontément le jeu dans son ensemble. Jouez y et faites vous votre idée, d’autant qu’il est assez court, de l’ordre de 3 à 4h. En cela GRIS manœuvre bien. Oui, l’histoire est laissée à l’interprétation des joueurs, mais quelques grandes lignes plutôt claires viennent nous éclairer sur des points assez importants.
Ces points qui sont en fait dévoilés notamment par les différentes mécaniques de gameplay que l’on va débloquer au fil de notre avancée et des énigmes que l’on va résoudre mais aussi par les ajouts graphiques qui viendront s’y greffer. GRIS est un jeu en constante évolution dans notre aventure. Si on commence dans un monde gris, les grosses énigmes à résoudre apporteront chacune une nouvelle touche de couleur au monde que l’on parcourt. Ce monde qui est d’ailleurs si beau, si finement taillé, travaillé, avec ses coups de crayon parfaits et ses couleurs pastels. Une claque visuelle comme on en voit franchement peu. Mais cela, on le savait à peu près à mesure que des trailers du jeu nous étaient dévoilés. Ce dont j’avais peur en suivant l’actualité du titre de Nomada Studio, c’est que justement il ne soit QUE beau et qu’au final nous allions nous retrouver avec une très jolie coquille vide. Loin s’en faut !
Une aventure GRISante
Ce qui fait de GRIS une expérience si remarquable est sa capacité à, d’une part, réussir tous ses points individuellement (graphismes, musique, gameplay, progression) et à les fusionner tous ensemble pour ne donner au final qu’un tout unique. La bande originale, signée Berlinist et qui peut prétendre très facilement au titre de meilleure BO de l’année, s’accorde sur le gameplay avec une justesse redoutable.
Prenons en exemple cette scène en tout début de jeu. Notre héroïne traverse un désert. Soudain, le vent se lève, les éoliennes en arrière plan se mettent à tourner et des notes d’orgues montent tout doucement. Peu de temps après, c’est une tempête de sable qui vient frapper notre pauvre âme perdue, les éoliennes crient de douleur face à la force du vent et l’orgue crache son intensité, allant de pair avec la force du vent. Puis tout se calme et on peut se remettre à avancer avant que la prochaine salve nous touche. Des moments de ce style, il y en aura bien d’autres dans GRIS, que ce soit lors de moments calmes, qui prennent le temps de respirer (et de nous faire respirer) et les moments plus dynamiques, graves, comme lors des rencontres avec des boss.
En nous proposant un gameplay simple mais s’imbriquant parfaitement dans les énigmes à résoudre, GRIS marque encore un très bon point. On progresse de manière très naturelle et fluide, sans faire attention lorsque l’on passe d’un niveau à un autre. Au début on se pose quand même des questions : « donc là je peux aller à droite ou à gauche, en haut ou en bas. Mais est-ce que si je vais là plutôt que là je ne vais pas rater des choses ? » Questionnements rapidement balayés par le level design et le game design exemplaires.
Peut-être un peu trop ? Si le level design, lui, est au petits oignons, la courbe de progression elle, n’est que récitée. Très bien récitée, sans faute, mais récitée tout de même, n’apportant pas grand chose voire rien de nouveau. Une action qu’on effectue de manière anecdotique à un moment nous servira en fait plus tard pour progresser et on le sentira naturellement. Une preuve que ça marche évidemment (voyez le maître Mario, on comprend très rapidement les nouvelles actions à effectuer à mesure qu’on avance dans le jeu et des ennemis qu’on rencontre) mais qui n’a rien de neuf. Continuons de cracher dans la soupe parce qu’il faut parfois savoir être un gars chiant, l’ajout de mécaniques fait parfois un peu forcé. Je pense ici à la dernière qui nous est introduite qui, si elle est très belle, ne m’a pas vraiment fait l’effet d’une mécanique très utile. Mais là, franchement, je chipote.
Critique réalisée à partir d’une version achetée sur Switch
Il est très difficile de parler des grandes forces de GRIS sans vous gâcher la découverte. J’ai essayé de vous en dire le plus possible, le plus clairement possible, pour que vous compreniez que le titre de Nomada (nommons les encore de nombreuses fois et souvenez-vous de ce nom de studio!) est une véritable réussite. Le degré de maîtrise et de finesse du jeu en font un des plus beaux titres existants, les musiques sont absolument superbes et propulseront, je l’espère, le groupe Berlinist sur le devant de la scène. Le gameplay, le level design, les paysages s’imbriquent tous parfaitement ensemble, pour nous servir sur un plateau en or massif un titre généreux, inspirant et marquant. Il n’y a vraiment rien d’autre à dire.
Benjamin "Noodles"
Faire des jeux de mots c’est mon dada. J'aime bien tous les jeux aussi. Sauf les mauvais ou ceux qui nous prennent pour des glands.
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