C’est peu dire que l’annonce et la com autour d’Avowed, le nouveau RPG du studio Obsidian, nous ont inquiétés. On craignait l’inintérêt devant une œuvre de fantasy un peu quelconque, on ricanait en usant du qualificatif de "Skyrim Killer", et finalement, Obsidian a violemment douché nos craintes de ronchons désabusés. Car Avowed, c’est vraiment très bien.
Je suis assez loin d’être un Obsizouz comme peut l’être notre rédac-cheffe, et je n’ai fait ni Fallout New Vegas, ni KOTOR 2, ni les Pillars of Eternity. J’ai pris le train en marche très tard avec le chouette et injustement détesté The Outer Worlds, mais le coup de foudre s’est surtout fait devant l’excellent Pentiment, qui m’a définitivement convaincu du talent d’écriture et de narration du studio. Et, malgré des signaux pas tellement encourageants, c’est ce qui m’a motivé à me lancer dans Avowed : après deux jeux qui m’avaient franchement enthousiasmé, je me disais que même avec un univers oubliable et/ou un gameplay médiocre, il y aurait de quoi passer un bon moment grâce à son écriture et sa mise en scène. C’était à moitié vrai : si l’écriture et la mise en scène sont effectivement très solides, Avowed a su me surprendre avec un gameplay particulièrement fun et agréable, et me captiver avec son univers bien plus profond et intéressant que prévu.
J'voulais rester à la cité
Mais avant toute chose, laissez-moi vous présenter Barnabée Chamout, La Chamoute, pour les intimes. Barnabée se distingue par deux caractéristiques : son brushing impeccable et sa moustache foisonnante. Bon et peut-être aussi par ce champignon qui lui pousse au milieu du visage, marque d’un être divin, et que ses interlocuteurices remarquent bien plus que sa moustache, ça valait bien le coup de la peigner consciencieusement. Barnabée est également émissaire de l’empereur d’Aedyr, envoyé·e sur l’île des Terres vivantes pour enquêter sur un mal mystérieux qui ravage le territoire : le Malrêve, qui change les malheureux·ses infecté·es en sortes de zombies couverts de champignons. J’aimerais beaucoup vous faire un compte-rendu complet des trépidantes aventures de Barnabée, car, comme dans tout bon RPG (et Avowed est un excellent RPG), le jeu m’a laissé m’approprier les 1001 péripéties traversées par mon avatar.

C’est, je trouve, la marque d’un jeu de rôle réussi que cette volonté de raconter à tout le monde ses exploits, ses joutes verbales, les conséquences hilarantes, dramatiques ou catastrophiques de ses choix et actions, comme si nous avions modelé nous-mêmes toute la trame de l’aventure, oubliant bien volontiers les ficelles et procédés du RPG, pourtant bien connus et apparents. Mais je vais réfréner cette envie, déjà, car raconter une partie de JDR, c’est comme raconter un rêve (c’est beaucoup moins intéressant que ce que vous croyez), mais surtout parce qu'il y a beaucoup de choses à découvrir dans Avowed et donc beaucoup à spoiler. Et j’ai vraiment très envie que vous ayez les mêmes surprises que moi. Il y a cependant beaucoup à dire sur le titre, même sans en dévoiler tout le contenu.
Déjà, les habitué·es d’Obsidian l’auront peut-être compris en lisant mon bref résumé : Avowed se déroule dans le même univers que les jeux Pillars of Eternity, après les évènements de Deadfire. Le studio exécute un exercice d’équilibriste assez formidable sur ce point, puisqu’il parvient d’un côté à intégrer le titre dans le lore et la timeline des Pillars, citant lieux, personnages, dieux et évènements familiers des joueurs·euses, tout en étant parfaitement accessible et didactique pour les néophytes. Comme dit plus haut, je n’ai jamais joué à Pillars of Eternity, je ne connais ni leurs scénarios ni leur mythologie, et je ne me suis pour autant jamais senti perdu ou mis de côté dans Avowed. J’ai probablement raté quelques clins d’œil et références aux jeux précédents, mais la narration environnementale, les dialogues, les documents : tout est fait pour que l’on comprenne aisément les enjeux du scénario, la géopolitique d’Eora, le lore historique, culturel et religieux des peuples et régions, sans non plus avoir l’impression de suivre un cours de rattrapage. L’explication du monde se fait de manière très organique, et l’on a toujours la bonne clef de compréhension au bon moment.

Au nord, c'était les colons
Mais, surtout, ce lore est loin d’être aussi générique que ce que les annonces laissaient craindre. Ses concepts forts (la roue de la réincarnation, l’animancie, le Malrêve... bref, le lore de Pillars, enrichi des spécificités des Terres vivantes) et son esthétique pas si lisse que ça (le titre se permet quelques représentations qui flirtent avec le body horror et pas mal de panoramas très impressionnants) sont loin d’être de simples idées jetées en l’air et se retrouvent au service d’un scénario et d'un univers profonds et passionnants.
Avowed a une approche explicitement politique de son scénario, autant dans sa quête principale que dans ses objectifs secondaires. Ne pensez pas venir faire votre petite enquête tranquille sur une île, car les habitant·es vous seront majoritairement hostiles. Et à raison : l’empire d’Aedyr que vous représentez est ni plus ni moins en train de coloniser les Terres vivantes, et, bizarrement, voir débarquer des colons qui chassent les autochtones des villes pour les parquer dans des bidonvilles, accompagnés de fanatiques de l’inquisition venus instaurer "l’ordre et la sécurité" par la force, ça n’est pas du goût de tout le monde. Et, c’est une bonne chose, si Avowed nous laisse prendre parti pour différents camps, il sait à la fois faire la part des choses en montrant qu’il n’existe jamais une bonne et une mauvaise solution (je ne pensais vraiment pas me confronter à des choix aussi difficiles moralement) ni un gentil et un méchant, mais ne se réfugie pas pour autant dans un centrisme douteux. Vous pouvez faire ce que vous voulez et vous allier avec qui vous voulez, mais les auteur·rices ont un avis sur la situation, et disons qu’embrasser le fanatisme et la violence répressive de l'empire et du Garrot d'acier n’est pas considéré comme la "bonne" fin.

Et c'est une approche qui se retrouve dans toutes les strates du jeu, de la quête principale aux objectifs les plus mineurs. Une opération de colonisation, couplée à une épidémie dévastatrice, dans une région encore marquée par d'anciennes guerres, ça a évidemment un impact conséquent sur sa population, qui, selon les profils et enjeux, tente tant bien que mal de tirer son épingle du jeu. Que ce soit la prostituée qui voit arriver d'un œil terrifié la criminalisation de l'avortement avec l'annexion de sa ville par l'Empire ou les dealers les plus stupides de l'île qui décident de produire une drogue à partir des champignons récoltés sur les cadavres des infecté·es du Malrêve, tous les enjeux de la campagne principale se répercutent dans le contenu annexe et donnent à l'ensemble énormément de crédibilité et de cohérence. Et, à moins de se lancer dans une run avec un personnage parfaitement crétin (ce qui est très tentant, les réponses proposées sont systématiquement hilarantes), vous n'aurez pas d'autre choix que de mettre les mains dans le cambouis et de vous impliquer personnellement dans ces problématiques aussi passionnantes que douloureuses.
L'école des MedFans
Mais, si l'on qualifiait moqueusement Avowed de Skyrim Killer durant sa promo, c'est surtout pour son aspect médiéval-fantastique action-aventure à la première personne. Et le titre d'Obsidian est décidément aussi très réussi sur ce point. Car, pour commencer, Avowed est fun. C'est visiblement un gros mot pour certaines personnes qui ne semblent accepter que des RPG âpres et exigeants au nom du réalisme à tout prix et, effectivement, si vous cherchez de la simulation, vous n'êtes pas au bon endroit. Il semble même au contraire que la balance ait systématiquement pesé du côté de l'amusement et du confort de jeu plutôt que du réalisme, et je dois avouer que ça fait du bien.
Le titre est pourtant loin d'être facile, particulièrement en début de jeu quand on tâtonne encore avec sa build et que les ennemis cognent fort, mais il est aussi loin d'être bête ou simpliste. Il propose un système de combat assez solide et varié (perso, j'ai opté pour la magie, qui est particulièrement agréable à jouer) pour tenir sur la durée, tout en étant assez simple et amusant à prendre en main. Le game feel y est pour beaucoup (ça bouge super bien, et les coups et les sorts ont des impacts très satisfaisants), mais ça passe aussi par toute une philosophie de game design et level design conçue pour rendre tous les styles de jeu et de combat viables et agréables. C'est facile de passer d'une build à l'autre, les menus et arbres de compétences sont relativement épurés, c'est également facile de respec si l'on souhaite changer tout son style de jeu : Avowed n'est pas là pour vous faire souffrir plus que de raison ou vous punir d'un choix de spécialisation, il est là pour vous permettre de jouer comme vous l'entendez, et c'est très agréable. Bref, ça ne révolutionne en rien le genre, mais ça l'exécute d'une bien belle manière.




Un confort de jeu que l'on retrouve aussi dans la partie exploration et donjons. Avowed évite bien des écueils du genre, notamment dans sa structure, qui préfère quatre grandes zones plutôt qu'un open world à proprement parler. C'est un choix assez salutaire et surtout très bien exécuté, puisque c'est assez grand pour qu'il y ait des choses à y voir et faire, mais pas suffisamment pour que ça semble vide. D'autant que la carte a l'élégance de ne jamais se remplir d'indicateurs et d'objectifs (même si on aurait aimé pouvoir poser des marqueurs à quelques endroits pour se rappeler d'y retourner), ce qui permet ainsi de tout visiter (ou non) à son rythme et à sa sauce, sans se sentir submergé ou forcé de faire quoi que ce soit. Pour un terrain de jeu aussi grand, avec une difficulté somme toute corsée et des enjeux aussi importants, Avowed est paradoxalement assez reposant à parcourir, sans pour autant verser dans le brainless. Via toute une batterie de petites intentions, ces coffres à looter qui émettent un petit tintement très agréable, ces ennemis qui ne repopent pas, la possibilité d'envoyer tout son stuff au coffre du camp, camp auquel il est possible de se téléporter et d'en revenir à tout moment, toute cette partie aventure est conçue pour ne pas être pénible ou frustrante, jusqu'à l'exploration des donjons qui vire souvent à l'immersive sim, afin de s'adapter à tous types de builds et d'approches.
Faute Avowed, complètement pardonnée
C'est finalement à se demander pourquoi Obsidian reçoit autant de reproches. C'était une question que l'on se posait déjà pour The Outer Worlds, à qui visiblement la fanbase ne pardonnait pas d'être autre chose que Fallout New Vegas, et c'est une question que je me pose aussi face à certaines critiques adressées à Avowed. Que l'on soit bien clairs : ce n'est pas une injonction à adorer Avowed autant que moi. J'ai d'ailleurs bien des réserves quant à certains de ses aspects, en particulier sa quatrième zone qui, selon moi, s'essouffle pas mal, avec son esthétique moins marquante, ses quêtes annexes un peu plus téléphonées et son terrain de jeu globalement assez vide, en comparaison avec les trois précédentes. Idem pour son final, qui, s'il a le mérite de clôturer tous les arcs de manière satisfaisante scénaristiquement parlant, le fait un peu au pas de charge, et le boss final est tout juste occis qu'une cinématique en plans fixes se lance pour conclure à toute vitesse.

Mais ce n'est pas vraiment ça qui est reproché à Obsidian. On ignorera aussi avec mépris la fange d'extrême droite qui chouine au wokisme (oui, il y a des couples LGBTQ+, des personnes racisées, non-binaires, des sujets sociaux et politiques sont abordés et tous ces aspects sont bien traités et bien écrits), car ces reproches-là ne méritent pas d'être débattus ou analysés. Non, ce qui est bizarre, c'est qu'Obsidian semble être à la fois sous-estimé et surestimé. Comme si les gens avaient complètement glorifié des titres comme Fallout New Vegas ou KOTOR 2 – qui sont des jeux importants, mais aussi assez cassés sur certains aspects – et attendaient du studio qu'il réitère un exploit qu'il n'a jamais accompli, à savoir livrer une version fantasmée de jeux qui n'existent que dans le souvenir empreint de nostalgie d'un certain public. Et donc, forcément, peu importe ce qu'Obsidian produit, c'est forcément moins bien que ce que les gens ont pu plaquer comme attentes dessus. Mais je pense aussi que la plupart de ces gens n'ont probablement pas relancé New Vegas depuis 2011, quand leur sauvegarde a été corrompue aux deux tiers de l'aventure et qu'il a fallu attendre que son concepteur Josh Sawyer modde lui-même le jeu pour que le titre soit réellement fini.
Et d'un autre côté, le studio me parait clairement sous-estimé quand il sort des jeux comme Pentiment ou Avowed, qui sont, à mon avis, dans le haut du panier de ce qui se fait en termes d'écriture, de world building et de narration dans les RPG modernes. Même The Outer Worlds, peut-être un peu plus modeste et perfectible, propose un discours anti-capitaliste et un humour assez corrosif et pince-sans-rire des plus efficaces et j'avoue ne pas comprendre que ce talent d'écriture, d'univers comme de dialogues, passe autant inaperçu tout en étant assez largement au-dessus de ce qu'on trouve ailleurs, même (surtout) dans les plus grosses productions. On peut évidemment pointer le fait que ça ne réinvente rien en termes de gameplay, Obsidian a toujours pioché dans des formules éprouvées, mais même sur ce point, ce n'est jamais quelconque, Obsidian ne révolutionne rien, mais fait les choses bien, voire très bien. Et je continue de m'étonner qu'on passe beaucoup de médiocrité à (vraiment à tout hasard) Bethesda, tout en se montrant démesurément exigeant et critique envers Obsidian. Quoi qu'il en soit, et, au premier degré cette fois-ci, Avowed est réellement mon Skyrim Killer, et j'attends désormais avec impatience The Outer Worlds 2.

Avowed a été testé sur PC via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur Xbox Series.
Après plus de 60 heures à parcourir les Terres vivantes, je peux le dire : j'ai définitivement rejoint le club des Obsizouzs. Avowed n'est pas parfait, mais quelques baisses de rythme, un bestiaire un peu chiche et une poignée de bugs ne parviendront pas à ternir mon enthousiasme. Avowed est un RPG particulièrement riche et dense, qui parvient à être solide aussi bien sur les plans narratifs et esthétiques que ludiques. De l'exploration de donjons aux rencontres de PNJ hilarantes, des antres d'araignées géantes aux choix cornéliens lourds de conséquences, des quêtes de compagnons terriblement touchantes aux combats intenses, le titre d'Obsidian exécute à merveille un système pourtant éprouvé et essoré depuis des dizaines d'années. On n'en attendait pas tant, et il sera difficile de trouver un RPG aussi prenant que celui-ci cette année.
Les + | Les - |
- Une écriture brillante, autant dans le drame que dans la comédie | - Un quatrième acte qui manque un peu de polish |
- Raccroche de manière très pédagogue et organique son lore à celui de Pillars | - Une conclusion menée au pas de charge |
- Le pan action-aventure fonctionne très bien | - La traduction fr perd en qualité à mesure que le jeu avance |
- Quelques grosses fulgurances esthétiques, autant dans le bestiaire que dans les panoramas | |
- Le soin tout particulier adressé au confort de jeu et à l'ergonomie | |
- Les choix et actions ont des conséquences visibles et logiques |

Shift
Camélidé croisé touche de clavier et militant pro-MS Paint. J'aime les jeux indés à gros pixels, les platformers sadiques et les énigmes.
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