2021 n’aura sans doute pas été la plus grande année du jeu vidéo, si ce n’est par le nombre ahurissant de parutions, une dynamique que l’on retrouve particulièrement dans le domaine du JRPG. Pas simple pour une nouvelle licence de se distinguer dans cette cohue. Avec ses graphismes superbes et quelques grands noms aux crédits, Astria Ascending tente néanmoins le coup… en prenant tout de même le pari d’un classicisme formel assez surprenant.
Une petite touche de studios montpelliérains, un gros pied au Québec et des freelances VIP japonais comme Hitoshi Sakimoto (compositeur d’Ogre Battle ou Final Fantasy Tactics) et Kazushige Nojima (scénariste de nombreux Final Fantasy)… Avec Astria Ascending, Artisan Studio arrive en se présentant comme une entreprise mondiale prête à livrer une sorte de world JRPG fusion, piochant des influences un peu partout et misant énormément sur son ambiance mature servie par des graphismes sublimes et son ton empreint de mélancolie. Et il m’a de fait fallu assez longtemps pour que se dissipe le rideau de fumée esthétique proposé par le jeu pour laisser place à l’envers moins glamour du décor : bugs, rythme parfois complètement flingué et structure de l’aventure plombée par un manque d’ergonomie laissant l’impression de revenir quinze années en arrière. Au point qu’on sente encore un peu trop que le jeu a commencé comme un rebricolage du jeu pour mobile Zodiac : Orcanon Odyssey, déjà parasité par ce type de problèmes. Dommage, parce qu’Astria Ascending est une réinvention de cet univers qui a beaucoup de choses à dire.
Demi-dieux, doubles problèmes
Si Astria Ascending réussit quelque chose, c’est bien la mise en place de son univers, particulièrement bien pensé et immersif. Dans un monde ayant atteint l’Harmonie, sorte d’état de paix perpétuelle, huit mortels sélectionnés parmi les différents peuples du continent sont choisis tous les trois ans pour devenir des Demi-dieux. Leur mission : maintenir à tout prix l’Harmonie et obéir aux ordres de la Déesse chapeautant l’ensemble. Leur fléau ? Au bout de trois ans, leur vie s’achève, et une nouvelle génération de Demi-dieux prend le relai. Le tout dans un contexte où on comprend assez vite que l’Harmonie, c’est peut-être pas si utopique que ça et que tout le monde est, disons-le sans détour, complètement shooté pour ne pas se poser trop de questions gênantes.
Astria Ascending nous fait donc incarner les huit membres de la 333è génération de Demi-dieux, à une poignée de semaines de leur « ascension », comprenez leur mort. Après deux ans et demi de paix relative et à l’approche du millénaire de ce système un peu trop parfait et aseptisé, l’équipe doit subitement faire face à une immense résurgence d’Interférences, nom désignant toutes les formes de perturbations dans l’Harmonie : monstres, dissidents, phénomènes inexpliqués, etc. Une course contre la montre s’engage donc, et la 333è génération doit absolument comprendre la source du problème avant de disparaitre et de passer le relai à des recrues inexpérimentées.
Le principal point fort de cette intrigue n’est pas tant sa supposée « maturité » ou les immenses surprises que réserverait son scénario (qui en manque franchement un peu…), ni même la qualité des antagonistes, un peu fades et pétris de motivations pas toujours très convaincantes. En revanche, on est vite assez surpris par la qualité générale de la construction de l’univers du jeu, par la manière dont les dialogues sont finement ciselés et dont tout cela est superbement mis en scène, servi par une expérience graphique et sonore des plus abouties. De ce point de vue, Astria Ascending est extrêmement agréable à suivre tout au long des 25 à 50 heures que dure son aventure, selon que vous souhaitiez le faire en ligne droite ou en explorer tout le contenu annexe. Si le scénario a quelques gros moments un peu mous, on reste toujours accroché à l’intrigue grâce à l’autre atout majeur du jeu : la dynamique interne de l’équipe.
Des personnages loin des clichés habituels du genre
Le premier contact avec les huit personnages principaux de l’équipe est cependant assez rude : ils se connaissent depuis longtemps, la dynamique interne de leur groupe est largement établie… et ils ne sont pas franchement d’un abord très agréable. Les premières minutes donnent vraiment l’impression de débarquer à une fête où tout le monde s’embrouille et où vous ne connaissez personne. Loin des habituels clichés des classiques du JRPG vous faisant au pire du pire incarner une bande de joyeux rebelles, l’équipe d’Astria Ascending est composée de personnages amers, parfois intolérants, et souvent franchement cruels les uns envers les autres.
Mais passé le choc initial de voir les personnages s’envoyer des piques, rivaliser d’individualisme et se comporter à l’occasion comme de vrais connards cyniques, on comprend petit à petit que leur logique interne intègre profondément le fait que presque aucun d’entre eux n’a choisi d’être là, et que tous ont vu une vie parfois paisible et heureuse être brisée trois ans plus tôt, quand ils ont été choisis pour le destin funeste de se sacrifier pour protéger tous les autres. Ils n’ont ni choisi d’être là, ni choisi avec qui, et Astria Ascending est un des rares jeux du genre à pleinement intégrer les conséquences morales et psychologiques d’un tel fardeau. Au fil des différents chapitres, mettant petit à petit en scène les histoires propres à chaque membre du groupe et leurs synergies, le·a joueur·euse prend parfaitement consience, à mesure que l’on réalise les énormes différences de passés, de passifs et de statuts sociaux auxquelles confronte le destin de Demi-dieu à chaque membre de la 333è Génération.
Si on peut reprocher quelque chose à cette dynamique de groupe, c’est qu’elle met tout de même beaucoup trop longtemps à se mettre en place et à nous intégrer pleinement au propos en tant que spectateur·rice : il faut bien cinq ou six heures pour qu’on commence à se sentir inclus dans les conversations tantôt moroses, tantôt sarcastiques du groupe et à comprendre l’épaisseur des enjeux soulevés par telle ou telle remarque. Ce n’est pas si grave, d’autres JRPG mettent parfois encore plus longtemps à devenir accrocheurs, mais c’est un peu révélateur de tout ce qui parasite complètement l’expérience d’Astria Ascending : son rythme trop souvent calamiteux.
Attendez-vous à attendre
Des tutoriels pendant une dizaine d’heures, des combats qu’on ne peut pas accélérer (ou à résoudre automatiquement en cas de grosse différence de niveaux), des animations de frappe ou de marche très lentes, de nombreux dialogues impossibles à avancer, des échoppes qui empêchent d’équiper automatiquement une pièce d’équipement achetée… Trente secondes par-ci, une minute par-là, Astria Ascending se fait une joie de rendre toutes les actions du jeu pour le moins fastidieuses. Jusque dans le mini jeu de cartes (inspiré du Triple Triad de Final Fantasy VIII) accompagnant l’aventure, on aimerait que tout prenne un peu moins de temps.
Ainsi, si le système de jobs et de combat est très astucieux, utilisant à merveille des idées reprises de jeux comme Persona, Bravely Default ou Octopath Traveler, leur très grande fréquence les rend assez vite assez répétitifs et soporifiques. Les systèmes de buffs et de débuffs permettent parfois aux ennemis de jouer plusieurs tours sans que vous puissiez intervenir : vous serez parfois forcé d’attendre près de trois ou quatre minutes en début de combat avant de toucher la manette (souvent pour recharger votre partie, la difficulté connaissant quelques pics inattendus).
Bref, on finit par s’ennuyer ferme en découvrant qu’en difficulté de base, le jeu pousse à effectuer par mal de grinding pour mettre les personnages au niveau requis afin d’avancer dans l’intrigue, et la structure très monotone des donjons n’aide pas, surtout quand il nous est demandé d’y retourner encore et encore pour la moindre quête secondaire. Il aurait a minima fallu permettre d’accélérer les animations des ennemis dans les combats pour redonner un peu de peps à l’ensemble. On nuancera cependant cette frustration : les développeurs d’Astria Ascending ont eu l’excellente idée de mettre en place un astucieux système de téléportation, la possibilité de sauvegarder à tout moment et de recommencer immédiatement un combat perdu. On apprécie aussi beaucoup le paramétrage très fin de la difficulté, qui peut permettre à ceux qui voudraient uniquement suivre l’intrigue de baisser au maximum le challenge pour transformer très rapidement votre équipe en brutes invincibles.
Quelques écueils inexcusables
Là où tout devient un chouilla plus grave, c’est qu’Astria Ascending souffre encore de quelques bugs vraiment pénibles : à plusieurs reprises, j’ai dû me refarcir des donjons ou des sessions shopping en entier suite à des retours Windows brutaux (et découvrir par là-même que le jeu ne sauvegardait automatiquement la progression que très rarement). Même chose pour les hitboxes des personnages : les coups permettant de lancer les combats aléatoires sont totalement foirés et imprécis, et poussent parfois à entamer une confrontation alors qu’on se trouve super loin de l’adversaire… condamnant parfois à se battre en situation de fort désavantage tactique (perte d’un tour, pas les bons personnages sélectionnés, etc). Au bout de dix heures de ce traitement, j’ai fini par devenir parano et sauvegarder manuellement toutes les dix minutes, autant vous dire que ça n’a pas beaucoup amélioré le rythme du jeu.
Même chose pour l’ergonomie générale : si Astria Ascending est incontestablement un très beau jeu, on découvre bien vite que les menus, si esthétiques soient-ils, sont une vraie plaie en termes de navigation, multipliant onglets et sous-onglets inutilement touffus alors que tout aurait pu être largement plus simple. La montée de niveaux et la répartition des points de compétence entre les différents jobs sur un simili-sphérier à la Final Fantasy X manquent par exemple cruellement de lisibilité. Des fonctionnalités de base sont également absentes, comme un bouton permettant d’optimiser rapidement l’équipement en fonction de la classe du personnage, par exemple.
On regrettera enfin quelques phases de jeu particulièrement injouables : était-il absolument nécessaire, dans un JRPG au tour par tour, d’inclure des phases de shoot them up complètement pétées ? Dans ce genre de séquences, Astria Ascending renvoie une impression très bizarre : c’est comme si les développeurs y avaient fourré absolument tout ce qui leur plaisait dans les jeux de rôle de ces vingt voire trente dernières années et scrupuleusement oublié d’en épurer quoi que ce soit ensuite. Alors que j’étais à dos de griffon en train d’essayer de blaster des machins en essayant maladroitement d’éviter des boulettes malgré l’imprécision des commandes, je me suis un peu demandé ce que je foutais là, et j’aurais bien aimé que les auteurs du jeu se posent la même question.
Astria Ascending a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur PlayStation 4, PlayStation 5, les consoles Xbox et Nintendo Switch.
Astria Ascending donne l’impression d’une copie de qualité plus que correcte, mais qui aurait sérieusement manqué de relecture : multipliant les séquences redondantes, oubliant en route des fonctionnalités basiques implantées dans tout RPG digne de ce nom, se perdant un peu en chemin dans son histoire prometteuse… On peine à pardonner cette foule de petites bêtises alors que tout aurait pu être tellement, tellement mieux. À l’instar de ses héros aigris et perclus de regrets à l’approche de leur mort et fuyant en avant dans leur dernière quête, Astria Ascending semble hésiter entre une expérience moderne renouvelant le genre et la structure rigide des JRPG des années 1990. On rage un peu, on s’ennuie pas mal, mais au moins on admire les décors, et c’est toujours ça de pris.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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