Difficile de faire la liste des différents styles que la série Saints Row aura parodié tout au long de ses quatre et quelques épisodes. L’Open World bourrin, queer et humoristique de Volition aura tour à tour dézingué GTA, les contes de noël, les super héros, la politique, les invasions extraterrestres, Mass Effect ou encore l’Apocalypse, toujours dans un ton oscillant entre le cinglant et le pipi-caca. Annoncé il y a à peine un an, Agents of Mayhem se pose en spin-off inattendu de la série, ciblant cette fois-ci le registre des années 80 en parodiant les séries à la G.I Joe. En injectant une dose certaine de nouveauté dans la formule, le studio autrichien Volition réussit-il à faire oublier les limitation techniques et conceptuelles de la formule et à se faire une petite place dans une année extrêmement chargée en titres très ambitieux ?
Le pari est délicat. Si la série Saints Row a toujours su impressionner par son ton résolument décalé, les derniers épisodes en date (Saints Row IV et sa suite, Gat Out of Hell) ne parvenaient plus vraiment à cacher un moteur de jeu à bout de souffle, une formule très répétitive, et un gameplay certes jouissif mais possédant la profondeur d’une enveloppe desséchée. Le scénario global de la série semblait arrivé au bout du bout des possibles (que faire après que le gang des Saints ait conquis la Maison Blanche, repoussé les aliens puis été jusqu’en enfer tuer Satan himself dans l’ultime épisode ?). Difficile, donc, de relancer l’exercice alors que la série semblait morte de sa belle mort : juste avant de gaver jusqu’à ses plus grands fans.
Nawak Core
Le parti pris des équipes de Volition n’est pas inintéressant. Sans renier l’héritage farfelu des anciens épisodes, les scénaristes font table rase du passé. Agents of Mayhem se déroule quelques temps après une des fins possibles de Gat out of Hell : le légendaire Johnny Gat s’est échappé des enfers, a recréé la Terre en effaçant les Saints de la mémoire collective, et laissé l’Humanité suivre un nouveau destin après l’invasion extraterrestre de Saints Row IV (juré : dans le lore de Saints Row, tout cela fait sens). Le monde d’Agents of Mayhem est donc vaguement différent de ce que la série avait présenté jusque-là. La planète a fait un bond technologique, la sécurité mondiale est assurée par MAYHEM, une agence de super soldats qui n’est PAS DU TOUT les Saints après un vague lifting graphique, et le nouveau danger auquel doit faire face la civilisation est une affreuse bande de super méchants, la LEGION. Les Agents of Mayhem (c’est vous) interviennent aux quatre coins du monde pour contrecarrer les plans machiavéliques des sbires de LEGION.
C’est dans un Séoul futuriste que se déroulera l’essentiel du scénario. Après une mission catastrophique servant de tutoriel, vos trois soldats d’élite laissent les troupes ennemies s’infiltrer en ville. Après quelques minutes de tutoriel, les enjeux sont posés : un Open World assez classique, cinq grands méchants à éliminer, des bases à conquérir, et tout un tas d’activités annexes à débloquer. La principale originalité du déroulement de l’intrigue, à part l’humour habituel de la franchise, se situe dans le gimmick central d’Agents of Mayhem : vous ne contrôlez pas un seul, mais trois héros à la fois, interchangeables à tout instant. Afin de vous seconder dans votre lutte contre les méchants, votre objectif principal sera de recruter neuf autres compagnons plus ou moins complémentaires. Chaque recrue possède sa propre mini-histoire composée d’une poignée de missions mettant en avant leurs compétences propres. L’histoire principale n’est au demeurant pas très longue, mais la vingtaine de missions liées au recrutement et à la quête principale de vos douze soldats est un agréable divertissement.
Au fil des différents chapitres, on sent que Volition a pris au sérieux son habituel sujet de prédilection : les pastiches et l’humour un poil épais. Cette fois-ci, c’est à une parodie en règle des dessins animés et séries de super-soldats des années 80 que se livre la dernière production du studio. G.I Joe, MacGyver, MASK ou l’Agence Tous Risques, autant de références parfaitement ringardes et nostalgiques citées à tour de bras de mission en mission. Les temps forts du jeu sont introduits par des dessins (presque) animés de manière kitschissimes, les personnages sont une collection de clichés outranciers (le Rappeur qui se bat avec un ghetto blaster, le Russe musculeux qui gèle ses ennemis, la star de télé déchue qui ne vit que pour la popularité, etc.), les méchants lancent de grands rires démoniaques, leurs plans n’ont absolument aucun sens… Et les habitants de Séoul prennent des selfies devant les zones de combat. On peut tout à fait ne pas adhérer à la mise en scène assez minimaliste de l’ensemble, ou regretter un humour à la fois plus sage et moins original que dans Saints Row (fini les courses poursuites avec godemichés géants). Mais pour les habitués de la formule, il y a quelque chose de très agréable à retrouver ces punchlines qui mélangent nonsens et outrance, sans jamais se départir d’un côté curieusement bienveillant et inclusif (au regard des productions habituelles de TPS en Open world).
Fusil à répétition
L’humour omniprésent et l’étendue du casting, cependant, peinent à masquer le principal écueil d’Agents of Mayhem. Autrement moins ambitieux qu’un Saints Row IV, le jeu propose un Open World assez riquiqui, et pas très dense en activités palpitantes. A part quelques missions de livraison et de secours d’otage, l’essentiel de ce à quoi vous occuperez votre temps sera de tirer sur des trucs. Des caisses, des méchants, des véhicules, des portes : quasiment l’intégralité du jeu est une succession de combats en arènes, avec assez peu de variations et peu de types d’ennemis différents. Amusant au début, voire un poil ardu si vous souhaitez vous amuser à remonter la très modulable difficulté du jeu, mais au final, au bout de cinq ou six heures, vous aurez fait le tour de l’essentiel de l’action que vous propose le jeu : des ninjas robots et des tourelles vous agressent de partout, et vous balancez la purée dessus de douze manières différentes. Au moins, on n’enlèvera pas au jeu la qualité de son casting et les véritables efforts pour faire varier les manières de massacrer tout ce qui passe à portée de bastos.
Si l’on ne se lasse pas aussi vite qu’on le pourrait, c’est donc avant tout parce que les différents soldats que l’on vous propose d’incarner sont somme toute plutôt attachants, au point qu’on regrettera presque l’arrivée tardive de certains d’entre eux, et que des mécaniques de RPG et de progression pas inintéressantes y sont suffisamment bien intégrées pour que l’on ait envie de poursuivre. Chaque mission débloque expérience et ressources, lesquels servent à monter de niveau, à acheter des capacités uniques et à crafter divers artefacts multipliant les dommages, les effets, les coups spéciaux. En effet, chaque Agent possède deux coups spéciaux (une capacité spéciale et une sorte de furie), qui, bien maîtrisés, peuvent les transformer en véritable machine de guerre. Pour les amateurs d’optimisation et de planification, c’est un petit régal. La constitution de son escouade idéale est un passe-temps agréable, sans être trop chronophage : les personnages gagnent vite en expérience en début de partie, les objets principaux ne sont pas difficiles à débloquer, et les missions annexes prennent rarement plus de quelques minutes.
Néanmoins et malgré la variété des personnages incarnés et les agréables subtilités du système de fiche de personnage, et bien que tout soit fait pour rendre la progression du joueur fluide, le jeu reste désespérément bourrin et répétitif. Un carnage permanent et redondant des mêmes ennemis, dans les mêmes situations, avec de plus en plus de points de vie et des pouvoirs de plus en plus offensifs. Les bases ennemies se suivent et se ressemblent, on finit par réentendre les mêmes blagues, et les activités annexes s’enchaînent sans passion. Le déblocage des plus hauts niveau d’expérience des agents confine au masochisme : au-delà du niveau 20 (atteint assez rapidement), faire gagner de l’expérience aux agents devient un véritable travail de forçat, à moins de rêver de vivre le Jour de la Marmotte, en plus violent et en encore plus répétitif.
Supplément d’âme en option
Comparer Agents of Mayhem aux blockbusters de l’année n’aurait strictement aucun sens. Le titre édité par Deep Silver est modeste par l’ambition, comme par l’exécution. Le moteur du jeu, développé en interne pour remplacer celui de Saints Row, peine à faire tourner correctement un rendu pourtant assez simple, très cartoon, avec peu d’éléments à l’écran. Peu importe, le jeu tourne sans peine au cœur de l’action, pendant les fusillades, mais en aucun cas le jeu ne peut tenir la distance face à la démonstration technique d’un GTA ou à la densité narrative d’un Yakuza. Cela ne fait pas d’Agents of Mayhem un mauvais jeu. Si ce dernier est un Open World terne et banal, il est également un jeu d’arcade très efficace. L’action est rapide, on comprend à tout moment ce que l’on doit faire, on a instinctivement chaque situation en main, comme si l’on dirigeait vraiment les bagarres d’un cartoon. C’est un peu l’équivalent d’une guerre de soldats en plastique menée par un enfant hyperactif, mais au moins, c’est sans temps mort, à quelques inexplicables chutes de framerate près.
Mais alors, une question surgit finalement au bout d’une dizaine d’heures : était-il absolument nécessaire de proposer un Open World ? Plutôt que de pousser le joueur au grind abrutissant dans les décors moches d’un Séoul anonyme, le poussant à faire encore et encore le nettoyage des mêmes bases terroristes clonées, on finit par se demander si le jeu n’aurait pas énormément gagné à être un « simple » jeu d’action en niveaux, avec un level design autrement plus travaillé que l’interminable série d’arènes qui nous est ici livrée. Volition a l’air de livrer un monde ouvert par habitude plus que par envie. Et si l’on est pas sur le niveau de vide d’un No More Heroes, on est à peine au-dessus d’un Prototype (oui, je sais, vous aviez oublié Prototype). Peut-être serait-il temps de faire plus petit et plus dense, plutôt que de nous laisser déambuler dans cette épuisante monotonie.
La série Saints Row masquait habillement la vacuité de son Open World par une série d’activités plus absurdes et réjouissantes les unes que les autres, pour peu qu’on ait l’humour d’un enfant de six ans (je plaide coupable). Ici, rien de tel. On livre cent fois la même voiture pour ramasser du loot, on fait mille fois la même course sur les toits, avec les mêmes dialogues dans l’espoir de trouver un malheureux skin de fusil : Agents of Mayhem semble avoir des habits bien trop grands pour lui. On se réveille parfois, au gré d’une série de dialogues amusants ou lors d’un combat de boss un peu mieux pensé que les autres, on se surprend à s’amuser à jongler entre ses soldats pour créer d’improbables combos destructeurs à base de pouvoirs pétés, mais au fur et à mesure que se répète inlassablement la même boucle de gameplay (collecter du loot et de l’xp – mission annexe – combat de boss – recommencer), on réalise qu’Agents of Mayhem manque d’âme. Il se rêve en successeur de Saints Row, il n’en est que la margarine. Certes, la plus chère et la moins dégoûtante du rayon frais, mais, on ne va pas se mentir, de la margarine quand même.
Jeu testé sur PC, jeu fourni par l’éditeur
Jeu d’arcade sans scoring, open world sans activités, jeu d’action sans challenge, Agents of Mayhem ne part pas avec beaucoup d’atouts dans sa poche. Cependant, la formule Saints Row reproduite ici avec un peu de maladresse marche toujours, et il règne sur cet ersatz souvent ennuyeux un petit soupçon de folie qui saura vous accrocher pour peu que vous soyez sensible aux âneries concoctées par les scénaristes de Volition. Le soupçon de subtilité apporté par la dimension RPG et par la gestion des douze personnages est terni par la nécessité de farmer trop longtemps pour en profiter clairement. Aussi, pour apprécier ce sympathique no-brainer estival, on vous conseillera simplement d’éteindre votre jauge de bon goût, et de faire le jeu en ligne droite, histoire de passer un moment rigolo en attendant la rentrée.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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