After Us, second jeu de Piccolo Studio, tente d’éveiller l’éclat de l’espoir au milieu du marasme écologique que son monde dépeint. La proposition traîne un peu la patte sans pour autant manquer de réussite.
Basé à Barcelone et pas du tout en Italie comme son nom pourrait l’indiquer, Piccolo Studio avait, avec son premier jeu, Arise: A Simple Story, fait son petit effet en proposant un jeu de plateforme entièrement tourné vers le souvenir et où l’on incarnait un homme âgé. Malgré sa jolie bouille et la sensibilité dont il faisait preuve, Arise avait toutefois du mal à décoller, tant du côté des mécaniques proposées que de sa narration, pleine de bons sentiments mais un peu ronronnante. After Us, c’est l’occasion pour Piccolo de travailler sa signature, creuser plus loin encore dans la voie du discours clairement engagé, pas si commun au médium, et de faire entendre ce que ses membres ont à dire du monde, un niveau à la fois. Un exercice pas évident qui touche parfois juste, parfois moins, mais n’a de cesse de relancer la machine. Toujours en mode mineur, cependant : gardez un peu de joie de vivre au vestiaire, vous en aurez besoin à la sortie.
Apocalypticologique
À son réveil au milieu d’un gazon insupportablement vert, et après avoir pris le temps d’éternuer, une jeune fille aux cheveux et à la tenue d’un blanc éclatant admire ce qui l’entoure : une terre paradisiaque où les animaux évoluent en toute liberté, les baleines volant autour de l’arbre central, sans présence humaine autre que la sienne. L’illusion, toutefois, s’efface vite. Les bêtes s’évanouissent les unes après les autres, alors que la voix de l’Arche résonne. Les Dévoreurs sont la cause de la disparition des êtres vivants, qui ne pourront être sauvés que si leur esprit est retrouvé et réanimé. Après avoir récupéré les dernières forces de l’Arche, Gaïa, la jeune fille, se réveille dans un monde mort, déstructuré, où le froid règne. Les immeubles brisés flottent dans les airs, les carcasses de voitures s’amoncellent, et la seule végétation qui pousse brièvement derrière les pas de la nymphe disparait sans tarder. En somme : c’est pas la joie. Ce n’est qu’après avoir retrouvé huit animaux-totems qu’un espoir pourrait renaitre pour le monde, et ceci seulement au terme d’un voyage éprouvant.
Jeu de plateforme en 3D, After Us tend vers un aspect cinématique, assez adapté à ses envies d’ambiance délétère et de discours dénonciateur. Généralement libre et à distance moyenne du personnage, la caméra prend de temps à autre de la distance ou au contraire se rapproche, se permettant de jouer avec sa focale qui, très courte par moments, donne beaucoup de profondeur à l’image et met en valeur certaines vues apocalyptiques impressionnantes. Rehaussé par une bande-son électro faite de nappes très appuyées, le sentiment de déchéance globale est renforcé par la présence continuelle de figures humaines géantes, nues, comme pétrifiées, qui font écho à Giacometti et son Homme qui marche. Élément de mise en scène central, elles servent également de balises à travers les niveaux. Organisées en une suite de biomes s’enchaînant quasiment tous les uns à la suite des autres de façon fluide (et pas tout à fait linéaire grâce aux embranchements), les zones alternent entre couloirs et espaces ouverts, parfois assez étendus. Une invitation à l’exploration encouragée par la présence de nombreux esprits secondaires d’animaux (le studio tranche et chien > chat, c’est pas moi qui décide) plutôt bien cachés à récupérer, ainsi que des souvenirs humains à collectionner ; une touche bien utile permettant d’indiquer vaguement leur direction une fois à proximité est à disposition. Les premiers égayeront les niveaux de leur présence fantomatique (coucou et caresses sont évidemment de la partie), quand les seconds forment de petites histoires centrées sur les humains ; contrepoint à ce qui se raconte dans le flux général de la progression, à savoir que leur mode de vie a asservi la nature avant de tout détruire.
C’est toute la problématique des jeux à discours pas franchement déguisé que d’arriver à être fins tout en délivrant les convictions qui les animent. Ici, à grands renforts de grandiloquences bétonnées dans le lointain et de particules désintégrées, on alterne entre moments inspirés et métaphores grossières. Si les niveaux les plus forts, chacun répondant à un animal totem et une thématique générale, nous mettent surtout à la place des animaux, on n’évite pas certains lieux communs, brassant critique d’un consumérisme abstrait, rôle néfaste de la télévision et des médias, l’oiseau en cage, la liberté enchaînée etc. Disons qu’After Us donne davantage l’impression de jouer avec une iconographie plutôt que d’approfondir son discours, et multiplie ainsi les associations mécaniques entre idées de gameplay et motifs traités. Un traitement un peu superficiel qui aurait pu bien fonctionner, et ce grâce à des idées bien exécutées, si la structure générale n’avait pas souffert des trop grandes envies du studio.
Saute, cours, vis putain !
Répondant au premier besoin de la plateforme, c’est-à-dire se concentrer sur le mouvement de son personnage principal, After Us vise un plaisir du déplacement en lui-même et dote Gaïa d’une mobilité généreuse : faisant écho à l’ouverture des espaces, la course est fluide et ronde ; les sauts avec élan ample, associés à un saut plané, un dash et une course sur les murs. Il faut quand même le temps de se faire à la portée limitée des bonds basiques, qui joue des tours tout au long du jeu – la plateforme 3D ne saurait, en particulier pendant les phases demandant de la précision, se départir de quelques problèmes de lisibilité peu inconvenants du fait du placement généreux des checkpoints, exceptées les rampes qui se fondent facilement à l’environnement. On prend donc assez de plaisir à bouger seulement, ce qui est déjà une bonne nouvelle en soi. La deuxième particularité de Gaïa tient au fait qu’elle peut éjecter un projectile d’énergie pour ouvrir des machins, pousser des trucs… En chargeant ce pouvoir se déclenche une explosion de vitalité qui, en plus de recouvrir de végétation les environs et d’apporter une touche de couleur non déprimante, ça change, permet d’interagir avec l’environnement et de repousser les ennemis qui croisent notre chemin. Apparaissant en nombre variable, les Dévoreurs, de plusieurs têtes plus grands que notre avatar, attaquent parfois en hordes, ce qui demandent d’aborder ces phases bien tendues avec agilité et sang-froid. Ces affrontements, basés sur l’esquive et la gestion de foule, ne sont pas passionnants mais apportent un peu de tension et, avant tout, de la variété.
C’est l’interrogation principale passée le premier niveau : le jeu va-t-il réussir à se renouveler ? C’est que, malgré les différentes ambiances distillées dans les huit régions à parcourir (divisées en sous-zones), on reste le plus souvent entourés par des débris flottants à l'horizon, et la quête des animaux-totems engage un cycle à la structure forcément répétitive. Pour pallier ça, les environnements apportent leur lot de variation des mécaniques : se mettre à l’abri d’une pluie acide ou de jets de harpons, manier l’enchainement entre les différents mouvements du personnage, creuser son chemin dans une montagne de déchets, naviguer dans une zone plongée dans le noir, la présence toujours pleine d’affection de scies circulaires… Sur l’ensemble des niveaux, certains sont évidemment plus réussis que d’autres (l’usine, une partie de la mine…), et c’est lorsque le plaisir du mouvement est restreint que le bât blesse le plus (la centrale, notamment). Le panel général est assez varié mais ne parvient toutefois pas vraiment à dépasser le sentiment que toutes les séquences sont un peu trop délayées, la musique n’aidant pas, ce qui nourrit la lassitude globale. Et bien qu’on se laisse aisément emporter par la mobilité de Gaïa et l’envie de trouver les esprits secondaires, l’enchainement de niveaux nimbés dans une même atmosphère finit par amoindrir la force de ce qu’After Us tente de nous partager.
After Us a été testé sur PS5 via une clé fournie par l'éditeur. Il est également disponible sur PC et Xbox.
La question de l’équilibre était au centre de la proposition d’After Us. Entre ambiance et rythme, lumière et noirceur, dénonciation fine et force des métaphores, le nouveau jeu de Piccolo visait haut mais atterrit plus bas que prévu. Pas de quoi balayer son agréable prise en main et la recherche de multiples variations entre gameplay et thématiques, mais assez pour lui ravir ce souffle, cette colère, cette ardeur à agir qui habite son personnage principal. C’est précisément ce qu’il manque pour en faire, au-delà d'un honorable jeu de plateforme, un moment tout à fait marquant et à la hauteur du message qu’il essaie de porter.
Les + | Les - |
- Une prise en main souple et fluide | - Tous les niveaux sont un peu trop longs... |
- De la diversité dans les mécaniques | - ... d'où un sentiment de redondance générale |
- Assez joli, et des points de vue impressionnants | - Un peu léger côté profondeur de la réflexion écologique |
- Difficulté accessible, notamment grâce aux checkpoints bien placés |
Seastrom
C'est la Loire qui coule dans les veines de Seastrom, mélangée aux subtilités de la vaporwave. Possibilité de l'amadouer en lui parlant indés et D&D (Dreyer et Digimon).
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