Croyez-en un relativement vieux routier fan de manga et d’animation japonaise : il est devenu assez rare qu’un manga mette le grand public d’accord, et parvienne à rentrer dans la culture mainstream comme l’a fait l’Attaque des Titans ces dernières années. Pourtant, au gré d’un immense succès en librairie et de la diffusion de l’animé du studio WIT sur le service public à une heure de grande écoute, l’Attaque des Titans a réussi à percer auprès d’un public bien plus large que la seule niche des fans de seinen d’action. Le jeu d’action sobrement intitulé A.O.T 2 (pour Attack on Titan) n’est, comme son nom l’indique, pas le premier produit dérivé vidéoludique attaché à la franchise, mais il est sans doute le premier à prendre la mesure du « phénomène ». Koei Tecmo n’a pas fait les choses à moitié, et livre avec le deuxième épisode de son pseudo-Dynasty Warriors asymétrique, un jeu au pari étonnant : vous faire vivre l’aventure des deux premières saisons de la série animée, du point de vue du Soldat Inconnu.
Mon nom est personne
Le premier jeu A.O.T, brouillon imparfait encore trop proche de la mécanique mûso, vous faisait incarner tour à tour les grandes figures du manga (Eren, Mikasa…) pour vous en faire mimer les moments de bravoure. Un jeu loin d’être idiot, qui troquait le massacre de dizaines de mobs anonymes contre la virevolte aérienne autour de quelques grands monstres : les fameux Titans menaçant les derniers représentants supposés d’une Humanité retranchée derrière d’inquiétants murs d’enceinte. Plutôt qu’une suite, les équipes de Koei Tecmo ont pris le risque d’un reboot complet.
Cette fois-ci, en lieu et place des protagonistes du manga, vous vous glisserez dans la peau d’un humble militaire (homme ou femme) aux traits finement définis par vos bons soins. Nous tenons d’ailleurs là, soit dit en passant, le meilleur générateur de personnages de l’année avec celui de Monster Hunter World. Après quelques mini missions tutorielles, vous vous retrouverez compagnon du fameux bataillon d’exploration supposé organiser la reconquête des territoires perdus. Jusqu’au jour bien connu des fans de la série où se dessine une nouvelle menace plus sinistre encore. En pratique, A.O.T 2 vous propose de vivre les événements des deux premières saisons du dessin animé couvrant une douzaine de tomes du manga de Hajime Isayama, avec une emphase particulière sur la seconde partie, et l’épisode de la Tour en particulier. Les connaisseurs apprécieront. La mise en scène choisie pour vous dérouler le scénario est ainsi plutôt astucieuse : jamais à l’épicentre de l’action, vous serez placé sur des histoires annexes, sur les coulisses des grandes opérations. Un rouage dans la grande machine, et un éclairage différent de grands moments déjà adaptés tels quels de nombreuses fois.
Bien entendu, A.O.T 2 n’est pas la meilleure manière de découvrir l’univers dense et torturé du manga. Produit dérivé, il s’adapte avant tout aux fans de la série, qui en connaissent déjà bien le lore pour le moins touffu proposé par l’auteur. Cependant, il faut louer les efforts conséquents de Koei Tecmo pour créer une histoire originale et cohérente s’imbriquant de manière fluide dans la narration plus large de la saga. Si le premier jeu donnait l’impression d’une parfois laborieuse série de diapositives-hommage, le second réalise la performance étonnante d’être un bonus convainquant à la narration loin d’être déshonorante. Voilà qui ne ravira peut-être que les fans, mais notons qu’au moins ils sont pris au sérieux.
Ça virevolte sévère
Les mûso, on connait : une vue de derrière, des cartes un peu trop grandes et un peu trop vides, et des points à défendre, d’autres à conquérir, et des escarmouches contre des ennemis décérébrés entre les deux. Ce qui rend la formule a priori difficile à transposer à la licence Attaque des Titans, c’est la profonde asymétrie des affrontements dépeints dans le manga. Les défenseurs de l’Humanité sont de minuscules moustiques tourbillonnant à l’aide de pseudo-jetpacks autour de créatures dont la taille varie de quelques mètres à un bel immeuble de bureau. Pourtant, le premier jet entamé avec l’épisode de 2015, déjà prometteur dans sa volonté de dépeindre des combats très déséquilibrés en taille comme en force est ici dépassé en tout point.
Grâce à une maniabilité dense mais très complète, et une courbe apprentissage sévère mais juste, A.O.T 2 rend à merveille la mobilité tri-dimensionnelle de la Brigade d’Exploration. D’une pression de votre double-grappin (#kink), vous sauterez sur un toit ou en haut d’un arbre, et vous vous propulserez assez naturellement jusqu’aux points faibles de vos gargantuesques adversaires. Pour le reste, rien de follement original dans les objectifs de mission : sauver le soldat untel sur le point de se faire croquer, défendre la base x ou y sur le point d’être débordée, rejoindre tel ou tel point chaud avant la fin du compte à rebours. Le tout en devant gérer vos ressources en gaz (pour vous propulser) et en lames (pour attaquer). Vous retrouver à court de l’un ou de l’autre vous assurant, vous l’imaginez, une mort certaine.
Et ça marche. Non seulement par l’ajout d’une mécanique absente du premier jeu vous permettant d’incarner ponctuellement des Titans eux-même, mais également par une narration bien rythmée, mais peu envahissante, parvenant toujours à vous donner un sentiment d’urgence et l’impression de ne jamais faire deux fois la même chose. Tout est fait pour briser l’ennui du joueur (ce qui ne va pas de soi, au regard des productions habituelles made in Omega Force), grâce à un savant mélange entre l’excellent matériau adapté et un design haletant des mission. Notons tout de même que cela se fait au prix d’un jeu assez court : une quinzaine d’heures en ligne droite, un peu plus avec des missions annexes assez dispensables. A moins bien entendu que vous ne soyez ce genre de personne qui souhaite platiner chaque jeu à grand renfort de grind pour débloquer le moindre des équipements annexes qu’il est possible de crafter dans les boutiques du jeu. Qui sommes-nous pour juger ?
C’est bien, mais cela reste du fan service
Si l’ensemble fonctionne aussi bien, malgré l’inévitable monotonie inhérente au style mûso, c’est parce qu’un boulot conséquent a été accompli par l’éditeur sur chaque aspect du jeu. Plus beau qu’A.O.T premier du nom, plus long, plus varié, plus maniable, doté d’une meilleure bande-son et plus rythmé : il n’y a pas un aspect du titre qui ne fasse pas progresser l’ensemble. Mais c’est aussi parce qu’un travail notable a été constitué sur les phases inter-missions, habituellement parent pauvre du genre. La vie de votre brigade dans les rares moments de repos est ainsi mise en scène à grand renfort de mini dating sim et de dialogues à choix multiples. Influence minime sur le gameplay, mais appréciable détente et immersion narrative après un moment de tension.
Entendons-nous bien : A.O.T 2 reste vraiment et en tout point un pur produit dérivé Attaque des Titans, au milieu de nombreux autres (manga Before The Fall, OAV Lost Girls, Film Live, série humoristique, romans, etc.). Mais peut-être pour la première fois dans l’histoire de la licence, un jeu vidéo arrive à se hisser au-delà du simple bonus vendu bien trop cher pour atteindre le statut de jeu plus qu’honnête.
Cela ne vous parlera cependant que si vous avez un minimum d’attachement au manga d’Isayama ou à ses dérivés animés. A moins d’être particulièrement acharné des mûso au point de n’en laisser échapper aucun, vous n’y trouverez sans cela aucun intérêt, et aurez droit à une lourde série de spoilers qui vous ruinerait complètement toute découverte ultérieure de l’oeuvre. Si vous êtes un simple curieux, privilégiez donc le manga ou la série avant de vous lancer dans A.O.T 2. Mais après tout, un jeu de niche destiné aux fans d’un des plus gros succès de la pop culture de ces dix dernières années, ça reste une grosse niche.
De manière surprenante, A.O.T 2 dépasse le simple statut de produit dérivé de l’Attaque des Titans pour se poser en chouette petit jeu d’action qui joue agréablement sur les mécaniques usées du mûso pour proposer des affrontements asymétriques rythmés et nerveux, servis par une narration simple mais efficace. Destinés aux (nombreux) aficionados de la saga avant tout, force est de constater que pour une fois, on ne s’est pas moqués d’eux. Certes, personne ne se souviendra du titre développé par Omega Force dans dix ans, pas plus que de la multitude de produits dérivés tirés de la juteuse licence Shingeki no Kiyojin. Mais cela ne nous empêchera pas de passer un bon moment maintenant, et personne ne s’en plaindra.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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