Avec A Juggler’s Tale, le petit studio allemand Kaleidoscube fait le pari d’un puzzle platformer extrêmement ramassé (il se boucle en moins de deux heures) mais au propos fort et cohérent : un conte d’émancipation mettant en scène une petite marionnette en quête de liberté.
Évacuons tout de suite l’éléphant au milieu du cirque, puisque le fait est revendiqué par les développeurs eux-mêmes : A Juggler’s Tale est une variation sur le thème des platformers de chez Playdead (Inside, Limbo), puisque qu’il y est formellement question d’avancer de gauche à droite en résolvant des énigmes dans une ambiance relativement mystérieuse, avec des personnages muets en proie à des menaces imminentes. La différence de A Juggler’s Tale, c’est un ton résolument plus optimiste et une ode à la liberté. Car Abby, notre petit pantin, n’a qu’un but dans la vie : couper les liens qui lui dictent son horrible destin et rechercher la liberté, à défaut d’un mari honnête. Le résultat est tout sauf idiot, mais pourrait aller plus loin dans l’exercice.
Tchao Pantin
Dans A Juggler’s Tale, tout est simple, à commencer par le scénario. Et c’est cette simplicité qui reste de bout en bout la grande force du jeu, qui ne se perd jamais en considérations secondaires. On y incarne Abby, pantin d’un spectacle de marionnettes mettant en scène son destin d’orpheline esclave d’un cirque crapoteux. Un beau jour, le marionnettiste (narrateur omniprésent) décide de raconter l’histoire d’une fuite en avant désespérée d’Abby, qui s’évade du cirque… sans aucun espoir de voir sa quête aboutir, le scénario étant écrit d’avance par celui qui, très littéralement, tire les ficelles de l’intrigue.
L’aventure d’Abby, découpée en 5 actes, est narrée à la manière d’un conte initiatique en vers, conte largement subverti par le fait que plus l’aventure progresse, et plus Abby va voir son rapport à son créateur se tendre, et son désir d’échapper à ses poursuivants se muer en désir d’échapper à son marionnettiste. Que se passe-t-il quand une créature de bois et de ficelle décide de vivre sa propre existence ? Pourra-t-elle rompre les règles intrinsèques de son univers ? Plus Abby accède à la liberté, plus le narrateur se transforme ostensiblement en Dieu égoïste et vengeur, là où sa voix est douce et protectrice (et un brin condescendante) au début de l’aventure.
Au début de l’aventure, Abby est donc largement entravée par les fils qui lui retiennent bras et jambes, incapable de passer sous un pont (les fils se coincent dessus), ou de sauter trop haut (le marionnettiste l’en empêche), etc. Les énigmes de la première partie du jeu consistent donc pour l’essentiel à réussir à avancer malgré ces entraves, en constatant avec une certaine frustration que lorsqu’une énigme semble impossible, le narrateur va tout régler en nous faisant sauter au-dessus des périls, ou en nous faisant planer pour éviter nos adversaires. Bref, on ne risque rien, mais on est à la merci du bon vouloir d’un Geppetto arrogant et paternaliste. Plus tard dans le jeu, Abby va petit à petit retrouver une totale liberté, quand tous les autres personnages du jeu resteront eux lourdement entravés par ces maudites ficelles-prison.
Moi je conduis des marionnettes, avec de la ficelle et du gameplay
A Juggler’s Tale est ainsi divisé en une série de tableaux vous proposant des énigmes assez simples, consistant généralement à pousser des trucs, lancer des objets ou contourner un ennemi, le tout généralement pour lever un obstacle quelconque et avancer vers le prochain niveau. Avec ce petit twist bien senti : plus Abby est libre et éloignée de son créateur, et plus elle est capable de faire de choses, n’étant plus entravée par des câbles bloquant le moindre mouvement un peu impulsif.
L’ensemble de ces puzzles ne révolutionne pas le genre, mais rythme la plupart du temps l’aventure de manière assez transparente. Leur évolution à travers l’aventure et l’augmentation progressive de leur violence à mesure que le narrateur s’en prend à Abby sert à merveille le propos basique mais agréable sur les difficultés rencontrées au cours d’un parcours d’émancipation. Le retour à une certaine forme de douceur vers la fin de l’aventure, lors du très réussi cinquième chapitre, sert lui aussi à merveille le discours profondément optimiste de A Juggler’s Tale.
Il est alors un peu dommage que l’expérience soit un peu hachée par quelques séquences assez peu inspirées donnant par moment davantage l’impression de commander un sac de terreau qu’un pantin gracile. En effet, à plusieurs reprises, on bute sur des phases de plateformes très approximatives, ou sur des confrontations avec des poursuivants dans lesquelles il est évident que les hitbox des différents personnages ont de gros problèmes d’équilibrage : les ennemis semblent parfois nous attraper alors qu’ils sont à plus de deux mètres, et Abby se vautre parfois lamentablement après des sauts pourtant faciles. La précision des commandes est globalement faible, pouvant à de brefs moments faire de A Juggler’s Tale un calvaire, ce qui est fort dommage au regard du parti pris des développeurs de proposer un jeu court, fluide et facile. On notera également la gestion un peu chaotique des points de sauvegarde, poussant parfois à refaire de longues séquences scriptées en cas d’échec.
Un concept qui aurait pu aller plus loin
Vous aurez compris que j’ai été particulièrement séduit par le discours chaleureux de A Juggler’s Tale et par la simplicité de son dispositif. Avoir concentré tout le propos du jeu en moins de deux heures et avoir néanmoins réussi à proposer un jeu globalement beau et varié est tout à l’honneur de Kaleidoscube. Cependant, j’en ressors tout de même avec l’impression que la partie puzzle du jeu manque un chouilla d’inventivité.
Pour tout vous dire, à chaque phase proprement narrative du jeu, j’étais scotché à mon écran, assez impressionné par la créativité de certaines séquences visuelles, à l’image de la confrontation contre une araignée géante ou la séquence finale de libération d’un animal en cage. En revanche, les énigmes menant au déclenchement de ces séquences baignaient tout de même dans un tel sentiment de déjà-vu que je serais déjà incapable de m’en rappeler la moitié, tant elles constituent le B-A BA de quasiment tous les jeux du genre. On tire des leviers, on jette des cailloux, on se cache derrière des tonneaux, et on a déjà fait ça des dizaines de fois. Oui ça fonctionne, mais on aurait aimé que le jeu mette davantage en avant ses idées propres.
Les seules énigmes sortant un tant soit peu du lot sont en réalité celles qui sont liées à la diégèse du jeu (les personnages sont reliés par des ficelles à un narrateur invisible) : une séquence où on doit forcer un pantin ennemi à percuter des murs ou une autre où Abby doit trouver un moyen d’atteindre un levier situé hors de portée de ses fils, par exemple. Mais ces énigmes sont finalement si rares dans le jeu qu’on en vient à se demander si les développeurs n’ont pas un peu perdu leur idée en cours de développement, ou peiné à trouver des idées de gameplay mettant en jeu de manière satisfaisante des personnages entravés par une main invisible. Malgré son histoire attachante et son univers charmant, A Juggler’s Tale pèche finalement par ce manque d’imagination ludique, et échoue un peu à se distinguer de la masse de ses concurrents.
A Juggler’s Tale a été testé sur PC via une clé fournie par l’éditeur. Le jeu est également disponible sur Nintendo Switch, PlayStation 5 et les consoles Xbox.
Rester simple : c’est la règle d’or du game design que les auteurs de A Juggler’s Tale ont choisi de respecter. Et c’est heureux : la petite histoire très limitée d’Abby la marionnette fonctionne parfaitement, et constitue une jolie surprise de rentrée. C’est doux, plein de surprises et d’émotions. On regrettera cependant que le concept des puzzles basés sur les fils soient si peu poussés et que la partie plateforme laisse un peu à désirer, risquant de laisser pas mal de monde sur leur faim.
zalifalcam
J'aime les jeux double A, les walking simulateurs prétentieux et les JRPG, et plutôt que de me soigner, j'écris à leur propos.
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